
Pourquoi cette erreur catastrophique ? », s’interrogeait le sage de Cambridge. Une hypothèse astronomique énonce qu’au centre de notre galaxie se trouve un trou noir, une masse invisible, compacte, extraordinairement dense, qui finira par tout engloutir. De même, il existe un trou noir au cœur des Lumières, qui explique en grande partie le « renversement » décrit par Adorno et Horkheimer, et permet de répondre à la question de George Steiner : le discours sur les Juifs, particulièrement chez l’écrivain de plus représentatif du XVIIIe siècle français : Voltaire.
L’antisémitisme de Voltaire n’est pas un secret soigneusement gardé, mais ce n’est pas non plus un sujet qu’on aborde volontiers. Tout se passe comme si son attitude vis-à-vis du peuple juif faisait l’objet d’un refoulement – au sens psychanalytique du mot – tout juste brisé par les historiens anglo-saxons comme Arthur Hertzberg ou, en France, Léon Poliakov et Pierre-André Taguieff. Les textes judéophobes de Voltaire n’ont pas été supprimés (ç’aurait été impossible), mais il faut les chercher dans des éditions anciennes (XVIIIe – XIXe siècles), car ils ont à présent disparu du circuit de la librairie, l’œuvre de Voltaire ayant fait l’objet d’un intense travail de sélection et d’édulcoration.
L’école et l’Université françaises n’ont ainsi conservé de l’œuvre de Voltaire que la part qu’il jugeait lui-même la moins intéressante, les contes, avec quelques articles choisis du Dictionnaire philosophique et le Traité sur la tolérance, que l’on cite plus souvent qu’on ne le lit. Le Voltaire que nous présentent les manuels, apôtre bienveillant de la tolérance universelle, est une construction qui ne tient debout que si l’on accepte d’oublier, notamment, tout ce qu’il a écrit sur les Juifs. Le personnage d’Issachar, au début de Candide, constitue la pointe visible d’une masse de textes consacrés au peuple d’Israël.

Le plus ancien témoignage de judéophobie apparaît dans une lettre de 1722 (Voltaire a vingt-huit ans) : « […] un Juif n’étant d’aucun pays que celui où il gagne de l’argent peut aussi bien trahir le roi pour l’empereur que l’empereur pour le roi ». Voltaire emploie le présent, ce qui montre qu’on ne peut régler la question de sa judéophobie en prétendant qu’il ne visait en général que les Juifs de jadis, ceux de l’Ancien Testament. À un demi-siècle de là, la même idée se retrouvera dans l’article « Patrie » des Questions sur l’Encyclopédie.
D’autres lettres contiennent des formules aussi peu aimables, ainsi celle-ci, où Voltaire commente en 1751 une décision de justice : « Le Juif est condamné dans tous les points ; et de plus il est condamné à une amende qui emporte infamie, s’il y avait infamie pour un Juif » ; ou celle-là, douze ans plus tard, avec la même tournure grammaticale : le peuple juif est « […] de tous les peuples le plus grossier, le plus féroce, le plus fanatique, et le plus absurde. Il y a plus d’absurdité encore à imaginer qu’une secte née dans le sein de ce fanatisme juif est la loi de Dieu et la vérité même. C’est outrager Dieu, si les hommes peuvent l’outrager ».
Source : Europe-Israel