D’où vient la possibilité de manger du lait après la viande à Chavou'ote ?
Je précise que la Halakha l'interdit, mais ma curiosité l'emporte.
Rav Meir Cahn
Afin de répondre à cette question, il est nécessaire de revenir sur certains points élémentaires concernant l’interdiction de « Bassar Bé’halav », les mélanges de lait et de viande.
Mar ‘Oukva déclare dans la Guémara qu’il se considérait face à son père comme du « vinaigre par rapport au vin » ; alors que son père attendait 24 heures après avoir consommé de la viande pour se permettre de consommer des produits de lait, lui-même le faisait dès « le repas suivant » (1). La conduite plus permissive de Mar ‘Oukva est celle qui fut retenue par la Halakha (2).
Dans la pratique, la grande majorité des communautés respectent un délai de 6 heures entre une consommation de viande et celle de produits laitiers. Toutefois, le Rama ramène une coutume selon laquelle une seule heure serait requise ; certaines communautés Achkénaz l’observent encore à ce jour. Par ailleurs, nombre de communautés d’origine allemande et alsacienne respectent un délai de 3 heures (3).
Sachant que la Torah n’interdit que la consommation simultanée de lait et de viande, pour quelle raison agissons-nous de la sorte ? A cette question, deux réponses furent données :
Rachi (4) considère que la viande ingérée sécrète du gras qui en fait persister le goût ; de la sorte, il est nécessaire d’attendre un laps de temps qui lui permettra de se dissiper.
Le Rambam (5) en revanche, affirme que la raison de cette loi relève du fait que « la viande qui est entre les dents ne peut être retirée avec un simple rinçage » ; des restes de viandes coincées entre les dents risquent donc d’être encore présents lors de la consommation de lait.
Une nuance entre ces deux opinions se retrouve par exemple lorsqu’une personne ne fait que mâcher un morceau de viande, sans toutefois l’avaler : la viande n’ayant pas été avalée, son goût ne persiste pas, mais des restes peuvent tout de même être trouvés. La Halakha a néanmoins retenu ces deux approches (6).
Venons-en à votre question : à Chavou’ote, la coutume veut que l’on consomme des plats à base de lait. Toutefois, note le Kol Bo (7), nombreuses étaient les personnes qui ne pouvaient l’observer car la prière du matin se prolongeait jusqu’à une heure tardive et, après le repas de midi agrémenté de viande, il restait moins de six heures jusqu’à la sortie de la fête.
Le Kol Bo ajoute que dans certains endroits, on avait permis à titre exceptionnel, d’attendre moins de six heures entre les deux plats afin de conserver la coutume, et tout en restant en accord avec les motifs ci-dessus mentionnés.
En effet, dit-il, les prières sont si longues que l’on arrive en généralement à ce repas de fête avec bon appétit ; de ce fait, la digestion se fera plus rapidement qu’à l’accoutumée et le problème évoqué par Rachi s’en trouve résolu.
Pour résoudre le second problème soulevé par le Rambam, le Kol Bo prescrit de se rincer méticuleusement la bouche, afin d’ôter les particules de viande qui pourraient s’y dissimuler. Bien qu’en général, cette possibilité ne soit pas envisagé, cet avis se voulait plus dérogatoire pour permettre de perpétuer la coutume de Chavou’ote, tout en prenant en considération le fait que le délai d’attente est lui-même sujet à controverse, comme nous l’avons mentionné ci-dessus.
Kol Touv
Comme vous l’indiquez très justement, ces explications ne viennent qu’à titre indicatif, la loi interdisant formellement de se fier à ces opinions ; une coutume ne peut en aucun cas surpasser une loi admise par tous les avis, comme l’est celle de l’attente entre la viande et le lait (8). Il faudra donc attendre le délai habituel soit 6 heures comme le stipule le Choul'hane 'Aroukh (sauf le cas exceptionnel de certaines communautés Achkénaz- comme cité précédemment)
1) ‘Houline 105a
2) Choul’hane ‘Aroukh Yoré Dé’a chap. 89 par. 1
3) Rapportons au passage qu’à l’avis des Tossefote ‘Houline 105 a, aucun délai d’attente n’est nécessaire, il suffit simplement de débarrasser la table et de prononcer la bénédiction pour pouvoir consommer du lait après de la viande.
4) ‘Houline 105a, début de citation « Assour »
5) Maakhalote Assourote chap. 9 loi 28
6) Choul’hane ‘Aroukh ad. loc. ainsi que Taz par. 1 et Chakh par. 2
7) Chap. 106 page 79
8) ‘Hok Ya’acov Ora’h ‘Haïm chap. 494 par. 11