Dire les Séli’hote en Araméen sans Minyane

Est-il exact que lorsqu’il n’y a pas dix personnes à la synagogue (pas de Minyane), on ne doit pas dire les passages des Séli’hote qui sont en araméen ?

Merci et bravo pour votre excellent travail

Rav Aharon Bieler
Il est exact que chez les Achkénazim, et dans certaines communautés chez les Sefardim, on a la coutume de ne pas dire les passages en araméens qui figurent dans les Séli’hote, quand on prie sans Minyane (quorum de dix personnes).
Par exemple les parties suivantes : Ra’hamana, Ma’hé Oumass’é, Dé’ané La’aniyé, ‘Anénane, Marana Dévichmaya (1).

Toutefois, la coutume des communautés de l’Afrique du Nord, est de dire les séli’hote même sans Minyane, en respectant l’ordre habituel du rituel sans rien sauter, y compris les passages en araméen.
Par contre, en cas d’absence de Minyane, on ne disait en aucun cas les 13 attributs de miséricorde (Vaya’avor) en tant que supplication. On avait l’habitude de les réciter avec les Té’amim comme ils sont lus dans la Tora ainsi qu’il est expressément notifié dans le Choul’hane ‘Aroukh (2).
En effet, les 13 attributs de miséricorde entrent dans la catégorie de « Davar Chébikdoucha » (passages caractérisés par une sainteté élevée qu’il est interdit de dire en l’absence de Minyane) (3).

De même, on répondait Amen à la place de « Bédil Vaya’avor ».

Cette divergence de vue trouve sa source dans la Guémara (4). Nos sages s’expriment ainsi : « Voici les parties du rituel qui peuvent être dites dans n’importe quelle langue : Kériyate Chéma’, ‘Amida, et Birkate Hamazone etc.».
Sur quoi la Guémara s’étonne : « Dans quel cas peut-on la ‘Amida dans n’importe quelle langue ? » Rabbi Yéhouda ne dit-il pas qu’une personne devra toujours exprimer ses demandes en hébreu ?.
Rabbi Yéhouda se base sur Rabbi Yo’hanane qui dit que si quelqu’un exprime ses demandes en araméen, elles ne seront pas transmises a D.par les anges de service (Malakhé Hacharèt). En effet, ces derniers ne comprennent pas l’araméen et ne pourront donc pas transmettre les demandes de chacun.

La Guémara répond que le problème ne se pose que lorsque l’on prie seul (sans Minyane), mais avec Minyane, les anges ne sont pas nécessaires, car dés qu’une assemblée compte dix hommes adultes, la gloire divine (Chékhina) est présente et les prières vont directement vers D. sans intermédiaire.
(C’est pourquoi, dans le cas présent (sans Minyane), il ne servirait à rien de dire ces fameux passages en araméen car ils n’aboutiraient pas à Hachèm).

Cet avis a été retenu par le Choul’hane ‘Aroukh (5). C’est sur lui que se basent ceux qui recommandent de ne pas dire les passages en Araméen en l’absence de Minyane.

Toutefois, nombreux sont ceux qui pensent différemment (il ne nous pas paru nécessaire détailler de façon exhaustive toutes les raisons qui motivent cet avis).
Ainsi, Le Kaf Ha’haïm (6) ne comprend pas pourquoi il est indispensable que les Malakhim comprennent les prières.
Si quelqu’un demande quelque chose à Hachèm en araméen, Hachèm ne va-t-il pas l’écouter ?
N’est il pas dit : « Qui est comme notre D., qui les appelle tous » (sous entendu, Qui communique avec tout le monde).

Il continue en disant que la plupart des décisionnaires expriment de façon implicite que l’on peut donc lire même les Séli’hote en araméen sans Minyane, (sauf pour les 13 attributs doivent être lus avec les Ta’amim, comme on lirait dans la Tora).

De même le Rav Mordekhai Eliyahou Zatsal a tranché, qu’il y a lieu de dire les passages en araméen même en l’absence de Minyane (7).

Tel est aussi l’avis du Rav Meir Mazouz Roch Yéchivate Kissé Rahamim à Bné Brak (8) qui rapporte : « J’ai entendu que les anciens du Maroc disaient la totalité des Séli’hote, même quand il n’y avait pas Minyane a la synagogue. Telle était aussi la coutume de mon père, le Gaon Harav Matslia’h Mazouz à ainsi que dans toute la ville de Tunis ».

A cela il faut ajouter que le Minhag marocain revêt un intérêt particulier : Il permet de renforcer les petites communauté qui ont du mal à réunir dés le début dix personnes. En effet, sauter les Séli’hote en araméen et dire le rituel dans le désordre à pour effet de démotiver les personnes qui font l’effort de se lever tôt. D’autre part, il dénature le rituel tel qu’il a été rédigé par nos sages et dévalue les passages en question que l’on supprime si aisément.

Notons enfin la remarque fort intéressante du Rav Ben Tsiyonne de Djèrba qui précise que lorsqu’on se trouve dans une synagogue, il existe (même sans Minyane) une présence Divine encore plus forte que celle que qui se trouve au chevet d’un malade (Or nos Sages nous précisent que la « Chékhina » se trouve au chevet du malade, ce qui permet de parler en araméen, même en l’absence de Minyane, car la présence des anges de service n’est plus nécessaire).


Il ressort donc que les 2 façons de procéder sont respectables et ont sur qui s’appuyer. Chacun fera donc selon son Minhag sans critiquer celui d’autrui.

Kol Touv
Rav Aharon Bieler
1) Yalkoute Yosséf. Fêtes – Séli’hote ; Michna Béroura chap.581 alinéa 4 et chap. 565 alinéa 13 ; Séfèr Hatania chap. 72. Voir aussi Séfèr Iché Israel chap. 45 par. 19
2) Ora’h ‘Haïm chap. 565 par. 5 et Rama sur place ; Ben Ich ‘Haï Parachate Ki Tissa première année Halakha 2 ; Voir aussi Michna Béroura chap. 565 alinéa 13
3) Guémara Méguila 23b et Roch Hachana 27b
4) Sota 33a
5) Ora’h ‘Haïm chap. 101 par.4
6) Chap.581 note 26
7) Voir le fascicule sur les Séli’hote accompagné des décisions Halakhique du Rav Mordekhai Eliyahou
8) Dans sa revue mensuelle Or Torah, Eloul 5754 chap. 133