Ne pas chagriner sa mère.

Chers Rabanim

Ma question concerne les Mitsvote de Kavod et Yrate Horim (respect des parents).

Il est dit à ce propos qu'on ne doit ni contredire, ni approuver les parents. Si j'ai bien compris , je suis censé comprendre qu'ils se situent à un "niveau supérieur" dans lequel je n'ai pas à intervenir?
Quel est le champ d'application de cette modalité?
Je m'explique. J'ai une mère veuve et agée (D. fasse qu'elle vive jusqu'à 120 ans dans de bonnes conditions). Je l'aide donc pour le gestion de ses problèmes, en particuliers matériels.

Ma mère, venue de Pologne à l'âge adulte, ne maitrise pas la langue française, ni la mentalité française, ni les subtilités administratives...Il nous arrive donc de ne pas être d'accord sur la manière de procéder. Si je ne la contredit pas on va au devant de difficultés. Et je suis amené à insister dans mon désaccord en essayant de lui expliquer (avec plus ou moins de succès). Est-ce que cela ne relève pas du "Lifné 'Ivèr Lo Titèn Mikhchol"? D'un autre côté la Misvatz 'Assé l'emporte sur le 'Lo Ta'assé?

Jusqu'à là il s'agissait d'un domaine à retombées pratiques. Qu'en est-t-il lorsque ma mère dit des choses que je sais fausses, mais sans retombées pratiques ? Puis-je corriger, avec délicatesse ? En effet, elle risque de répéter cela à l'extérieur en pensant avoir mon aval ? Elle risque de se ridiculiser un peu. Ou bien il vaut mieux ne pas la contredire car c'est toujours pénible d'être contredit.

Enfin ma mère prend plaisir quand je l'approuve, alors est-ce permis?

Kol Tov.

Rav Meir Cahn
« Tu honorera ton père et ta mère, afin que les jours de ta vie s’allongent » (1).
De ce verset de la Tora est apprise la « Mitsvate ‘Assé » (le précepte positif) d’honorer son père et sa mère (2). Le Rambam la qualifie de ‘grande Mitsva’, pour avoir été comparée à la Mitsva de craindre et d’honorer Hachèm même (3). D’où l’attention très spéciale qui doit être apportée à son accomplissement (4).

Outre cette Mitsva de « Kiboud Av Vaèm » (d’honorer son père et sa mère), une seconde Mitsva vient également déterminer le caractère du comportement que la Tora exige de nous, dans notre relation avec nos parents. C’est celle de « Mora », traduit littéralement comme crainte, mais qui représente le respect, voire la vénération (5). Elle nous est enseignée par le verset de Vaïkra, spécifiant que « tout homme éprouvera un respect craintif envers sa mère et son père » (6) et est répertoriée comme une Mitsva supplémentaire et indépendante de celle de « Kiboud » (7).

Il y a lieu cependant, de relever la dissimilitude qui distingue la Mitsva de « Kiboude Av Vaèm » (d’honorer son père et sa mère), de celle de « Mora Av Vaèm » (d’éprouver envers eux un respect craintif). Car si le Kiboud est une Mitsva qui implique l’action, celle de Mora sous-entend la prévention et l’abstention (8). En d’autres termes, ne rien faire qui puisse être à même de froisser le « Kavod » (l’honneur) du père ou de la mère (9).

Ainsi, le Kiboud implique le devoir de leur servir à manger et à boire, de les vêtir et de les couvrir, de les introduire et de les raccompagner (10). Le Mora par contre, requiert de ne pas nous tenir ou nous asseoir à la place qui leur est réservée, de ne pas contredire leurs paroles, ou même de les confirmer, de ne pas les appeler par leurs noms (11).

L’interdit de contredire son parent est à respecter, quelque soit le bien fondé des ses dires. Ainsi, même si ce qu’il affirmait n’était pas conforme à la réalité, la Mitsva de Mora exige de ne pas le contredire (12), ou de ne pas confirmer l’assertion d’un tiers qui le contredit (13). Cet interdit reste valide même lorsque la contradiction n’est pas exprimée en présence du parent (14). Selon certains, contredire les dires son père en son absence, et au cours d’une discussion talmudique ou halakhique, ne tomberait pas sous le coup de la Mitsva de Mora (15). Mais ceci à condition que l’expression de cette objection reste respectueuse (16).

Quoi qu’il en soit, l’interdit de contredire son parent n’est applicable que lorsque l’enfant exprimerait sa contestation avec fermeté et résolution. Par contre, ce dernier pourra formuler son point de vue en soulevant une interrogation, et en établissant la pertinence de son objection par le raisonnement, ou par l’assistance de preuves ou de témoignages (17). Bien évidement, cette approche ne sera tolérée que dans la mesure où elle resterait dans les normes de la délicatesse et de la soumission (18).

Si malgré tout, le parent restait sur ses positions, il sera du devoir de l’enfant de ne pas persister dans l’établissement de ses convictions. Dorénavant, celui-ci passera docilement son objection sous silence (19).

Notons encore, que l’interdit de contredire son père ou sa mère n’est applicable que lorsque le fils ou la fille se propose – de sa propre initiative – de les corriger pour ce qui lui semble être une erreur de leur part. Cependant, si c’est le parent qui sollicite l’avis de son fils ou de sa fille, ce dernier sera habilité à le lui donner. Dans ce cas, l’expression d’un avis contraire ne constituera pas une transgression au ‘Hyouv (au devoir) de Mora Av Vaèm (20).

Enfin, la question de savoir s’il était permis d’approuver sa mère qui émet une opinion erronée, pour lui procurer du plaisir, n’est pas liée aux Halakhote de Mora. Elle relève par contre des Halakhote concernant l’éventuelle émission de mensonges, à des fins « honnêtes », telles que par exemple pour réjouir un ‘Hatane et sa Kala, ou bien pour éviter la discorde (Mipéné Hachalom). Nous vous référons à la question intitulée « Dire une demie vérité », où nous avons traité de ces Halakhote.

Kol Touv.

1) Chémote 20 Passouk 12
2) Baba Métsia 32 a, ‘Houline 110 b, voir aussi le Rambam, Séfèr Hamitsvote Mitsvate ‘Assé 210, le Séfèr Ha’hinoukh, Mitsva 33, ainsi que le Sémag, ‘Assine 112
3) Kidouchine, 30 b, Rambam, Hilkhote Mamrim Pérèk 6 Halakha 1
4) Tour et Choul’hane ‘Aroukh, Yoré Dé’a chap. 240 par. 1
5) Rambam et Tour, ad. loc.
6) Vaïkra 19 Passouk 3
7) Rambam, Séfèr Hamitsvote Mitsvate ‘Assé 211, le Séfèr Ha’hinoukh, Mitsva 212, ainsi que le Sémag, ‘Assine 113
8) Korbane Aharone ainsi que le Malbim, sûr le Torate Cohanim, Kédochim Pérèk 1, Choute Mikhtam Lédavid, Yoré Dé’a chap. 32
9) Choute Mikhtam Lédavid, ad. loc.
10) Kidouchine 31 b, Torate Cohanim ad. loc, Choul’hane ‘Aroukh, Yoré Dé’a chap. 240 par. 4
11) Kidouchine, ad. loc, Choul’hane ‘Aroukh, ad. loc. par. 2
12) Séfèr ‘Harédim, Pérèk 1 Mitsvate ‘Assé Mine Hatora Hatélouyote Balèv, alinéa 26
13) Bèt Yossèf, Yoré Dé’a chap. 240, Chakh, ad. loc. alinéa 2, ‘Hayé Adam, Kéllal 67 par. 8
14) Chakh, ad. loc, Dricha, Yoré Dé’a chap. 240 alinéa 4, Pricha, ad. loc. chap. 242 alinéa 20. Voir aussi le Bèt Yossef, ad. loc. chap. 240 et 242
15) Taz, ad. loc. chap. 240, Biour Hagra, ad. loc. alinéa 3, ‘Hayé Adam Kéllal 67 par. 8, ‘Aroukh Hachoulkhane, ad. loc. alinéa 2, ‘Hazone Ich, chap. 149 par. 1. Voir aussi le Pricha, ad. loc. alinéa 3. Le Chakh alinéa 2, ainsi que le Dricha interdissent même dans dans ce cas
16) Taz, ad. loc.
17) Pit’hé Téchouva, ad. loc. alinéa 1, Choute Haradvaz, chap. 1533, rapporté par le Birké Yossef chap. 242 alinéa 3, ‘Aroukh Hachoulkhane, ad. loc. par. 12, ‘Hazone Ich, ad. loc.
18) Voir le Chéïlate Ya’avèts, tome 1 chap. 5, et le Nétsiv, Hé’émèk Chééla sûr les Chéiltote, parachate Itro page 377
19) Choute Haradvaz, ad. loc.
20) ‘Aroukh Hachoulkhane, ad. loc. par. 13, ‘Hazone Ich, ad. loc.