Rachi précise que ce verset nous apprend que cette parole fut prononcée devant toute l'assemblée, car la plupart des lois fondamentales de la Thora en dépendent. D'après certains de nos maîtres, il s'agit de l'une des 613 Mitsvote, ce qui implique que chaque Juif est en devoir de l'accomplir. D'autres, comme Maïmonide (Séfèr Hamitsvote Chorech 4) ou Na'hmanide, ne considèrent pas cet ordre comme étant assez circonscrit, et ne l'intègrent pas aux 613 Mitsvote. Quoiqu'il en soit, et selon tous les avis, cet ordre général s'adresse à tout le peuple d'Israël, et engage chacun à l'accomplir. La même interprétation revient dans le Sifra à propos du verset : « Vous devez vous sanctifier et rester saints, parce que Je suis saint » (Lévitique 11 ; 44). Le Sifra commente : « De la même façon que Je suis saint, vous devez l'être aussi. De même Je suis détaché du matériel (Parouch), vous devez l'être aussi » (ibid.). D'après Na'hmanide, à travers cet ordre, la Thora nous demande de comprendre les intentions véritables du Créateur, outre le respect des consignes de D.ieu, qui nous a interdit les aliments impurs et les relations prohibées. Cette volonté divine de nous éloigner de tout ce qui pourrait porter atteinte à la pureté physique de l'homme, cache un désir plus profond d'élever l'homme, et son âme. Dans le cadre même des plaisirs permis et des limites fixées par la Thora, un homme peut perdre toute valeur morale s'il recherche les plaisirs matériels, et s'engage dans la course sans fin de la consommation. La sainteté dont il est question dans notre verset est le détachement (Périchoute), qui entraîne une séparation de l'homme de la masse inculte et vulgaire. Son élévation viendra précisément de ce non-attachement au matérialisme : c'est l'essence de la sainteté (Kédoucha). La même idée est reprise par la Thora concernant toutes les interdictions d'ordre social, comme ne pas voler, ne pas tromper… Car la Thora conclut l'énumération de ces lois en disant : « Fais ce qui est juste et agréable aux yeux du Seigneur » (Deutéronome 6 ; 18). Le Sforno ajoute que cette Mitsva d'être saint, vient préciser le sens de toutes les autres qui l'ont précédée, à savoir les interdits alimentaires ou les unions prohibées, ainsi que l'obligation de s'éloigner de tout ce qui est impur. A travers toutes ces lois, le but du Créateur est que nous lui ressemblions le plus possible, car telle fut Sa volonté lors de la création : D.ieu dit : "Faisons l'homme à notre image, à notre ressemblance" (Genèse 1 ; 26). Rabbi Shimon Shkop Nos maîtres développent d'autres aspects de ce concept de sainteté, aspects qui complètent les paroles de Na'hmanide. A cette occasion, nous citerons notamment l'interprétation d'un géant en Thora, qui vécut avant-guerre, Rav Shimon Y. Schkop zatsal, Roch Yéchivat Grodna, dans l'introduction de son ouvrage « Chaaré Yocher ». Le Midrach s'interroge : « La sainteté que l'on nous demande d'atteindre est-elle au même niveau que celle du Créateur ? A cela, le verset répond: « Je suis saint, et ma sainteté dépasse la vôtre » (Vayikra Rabba 24) La question même du Midrach nous laisse perplexe. Le détachement que l'homme peut atteindre, même si c'est à un degré extraordinaire, peut-il seulement être comparé à celui de D.ieu, qui n'a pas de forme matérielle ? Mais la réponse du Midrach définit la sainteté de D.ieu comme supérieure à celle de l'homme, laissant entendre qu'il s'agit bien de la même notion, pour D.ieu ou pour les hommes. Pourtant, ce détachement du Créateur, transcende totalement le monde matériel, ce qui ne peut être le cas de l'humanité, inscrite par sa nature dans le matériel. Rabbi Shimon Shkop sort de la problématique, et explique que l'un des sens de sainteté (Kédoucha) est hekdech, qui signifie être réservé à un but particulier. Quel est ce but ? La Thora nous demande d'orienter toute notre énergie, nos capacités, nos dons et notre volonté vers le Bien de l'humanité en général et de la communauté des Juifs en particulier. Ce but peut être rempli par le souci du bien-être matériel des autres, mais aussi par la recherche constante du salut spirituel de l'humanité. Même quand l'homme jouit des plaisirs de ce monde, évidemment dans le cadre des plaisirs permis, il doit toujours garder à l'esprit ce but, et avoir comme intention unique de pouvoir servir Son créateur, dans les meilleures conditions, physiques et morales possibles. C'est là la véritable sainteté, et le détachement du matériel, dont parle Na'hmanide en est le moyen. Si l'on est trop assujetti au monde matériel, par ses propres plaisirs et son « moi », on ne peut devenir réellement altruiste. Mais le Midrach nous précise que même si la sainteté qui est demandée à l'homme possède une certaine analogie avec celle de D.ieu, l'homme ne parviendra jamais au niveau du Créateur. L'homme possède son « moi », qui est à l'origine de toutes ses volontés et aspirations. Il ne peut donc agir de façon absolue. En revanche, il peut utiliser l'ambition innée qui a été placée en lui, dans l'optique de servir la communauté des hommes, en recherchant leur bien. Il peut utiliser son « moi » et sa volonté propre pour faire le Bien et aider le reste des hommes. L'homme doit se considérer comme le gérant de toutes les capacités qui ont été déposées en lui : il a la responsabilité de les utiliser pour le Bien commun, matériel et spirituel de l'humanité. Là se trouve la sainteté (Kédoucha). Un deuxième texte du Midrach apporte un éclairage supplémentaire. « Soyez saints : cela nous apprend que si l'homme se sanctifie, D.ieu réagira en disant : 'Je considère cet acte comme si vous m'aviez Moi-même sanctifié' » (Sifra ibid.) Rav Shmouel Rozovsky zatsal, Roch Yéchivat Ponievezh, dans son ouvrage Zikhron Chmouel (p.566) cite le Malbim, qui interprète les mots du Sifra. L'homme qui se sanctifie s'élève au dessus des contingences matérielles, pouvant ainsi se consacrer à tout ce qui touche le domaine spirituel. Celui-là méritera que D.ieu se comporte aussi avec lui sans tenir compte des contingences matérielles. Notre ancrage dans le monde matériel limite notre vision, et empêche D.ieu de se comporter avec nous en dehors de lois naturelles. Sanctifier D.ieu, c'est permettre qu'Il agisse dans notre monde en dévoilant Sa puissance infinie, qui n'est bien évidemment limitée par aucune loi naturelle. Celui qui se sanctifie, comme on l'a vu en se détachant en partie du monde, de la course vers les plaisirs matériels, allant à l'encontre de sa nature, méritera que D.ieu agisse envers lui par un comportement qui se place au dessus des contingences naturelles (Hanhaga nissit), s'apparentant à des miracles. Plus l'homme s'élève et se détache de l'avilissement au matériel, plus il mérite de voir ses initiatives et son accomplissement personnel réussirent de façon irrationnelle. Là se trouve la véritable sanctification du Nom divin. Rav Rozovsky Ainsi, il avait vu un homme atteindre la sainteté et bénéficier de l'aide miraculeuse de D.ieu, à chacun de ses pas. On le voit, la sainteté ne concerne pas une élite triée sur le volet ou douée d'un caractère et d'un tempérament exceptionnels. La sainteté est accessible par tous et c'est le message de la Thora : l'homme peut toujours s'élever et se rapprocher de D.ieu en développant en lui la véritable sainteté, celle qui lui permettra de vivre ce monde, non pour sa propre jouissance mais pour rendre meilleure l'humanité toute entière. |