La souffrance du juste : Partie II



1. Les infirmités congénitales

Il y a toutefois des épreuves qui ne sont manifestement pas des châtiments. Comment les expliquer? Que penser de la souffrance des enfants? Ou de ceux qui naissent malades ou infirmes? Pourquoi existe-t-il des maladies héréditaires? Qu'ont fait ces innocents pour souffrir de la sorte?

Nos Sages expliquent qu'avant la naissance d'un être humain, Dieu décrète s'il sera intelligent ou stupide, fort ou faible, sain ou malade, riche ou pauvre. Mais s'il sera Tsadik ou Racha', juste ou méchant - cela n'est pas décrété d'avance, car c'est la seule chose qui dépend du choix de l'homme lui-même.

Nous nous demandons pourquoi condamner quelqu'un d'avance à souffrir, et surtout pourquoi les uns sont prédestinés à couler des jours paisibles alors que la vie des autres ne sera qu'un long martyre ?

Cette question aussi est mal posée. Nous allons tenter de l'éclaircir, bien que cela doive nous mener fort loin.


2. Infiniment divers

Les hommes sont tous extrêmement différents les uns des autres, que ce soit par l'aspect physique, le caractère, les talents ou l'entourage. La trame mentale et émotive dont est tissé le caractère de chacun varie d'un individu à l'autre. Elle sera par exemple chez l'un composée de 10 pour 100 de fierté, 15 pour 100 de paresse, 20 pour 100 de sensualité, et ainsi de suite, le tout se fondant pour former une personnalité unique.

Chez un autre les composantes seront réparties de façon totalement différente (il va sans dire que ce n'est qu'une analogie, on ne peut pas isoler les traits de caractère comme des corps chimiques). Il en est de même des facultés intellectuelles comme l'intelligence, la profondeur, la rapidité, le calcul, la mémoire et autres.

Et c'est encore plus vrai de l'entourage, dont tous les détails ont de profondes implications sur le développement culturel et spirituel. Dans les termes de nos Sages: "De même que leurs visages sont différents, leurs idées sont multiples." Mais pourquoi doit-il en être ainsi? Tous les hommes n'ont-ils pas un seul et même but: parvenir au monde spirituel par le service du Créateur? Alors comment se fait-¬il qu'ils n'aient pas les mêmes données de base?

L'explication est la suivante: l'amour de Dieu ne connaît aucune borne, et même les aspects de Son amour qui nous sont quelque peu accessibles se composent d'amour sur amour, à l'infini.


3. Amour sur amour

Réfléchissons. Hachèm béni soit-Il, nous a fait venir à l'existence afin que nous ayons la possibilité d'atteindre le degré de spiritualité le plus élevé possible et le plus grand bonheur qui puisse se concevoir. Cela ne suffirait-il pas déjà amplement?

Mais Il n'en est pas resté là. Il a décrété que ce glorieux don - la vie du monde à venir - nous le percevions comme un mérite acquis de plein droit, quelque chose de bien à nous, qui vient récompenser nos actions et notre lutte contre nos instincts négatifs.

Car Il a voulu que nous goûtions ce bonheur non comme un don gratuit, mais comme un salaire bien gagné. Ainsi nous n'en jouirons que plus. Cela ne suffit-il point encore!

Eh bien non. L'amour de Dieu envers nous va encore beaucoup plus loin que cela. Réfléchissons un instant. La principale Mitsva est celle de Kiddouch Hachèm, la sanctification du nom de Dieu.

C'est un concept très général: toutes les Mitsvote, tout ce qui concerne le service de Dieu est fondamentalement une forme de Kiddouch Hachèm. A chaque fois que nous maîtrisons nos instincts pour faire la volonté de Dieu, nous sanctifions Son nom. Le verset dit explicitement: "Tout ce qui est appelé par Mon nom et que J'ai créé pour Ma gloire...".

Non, bien entendu, que Dieu ait besoin de cette gloire. Comme nous l'avons dit plus haut, II n'a besoin ni ne peut avoir besoin de nous en rien. Tout le concept de la glorification de Dieu n'existe que par rapport à l'homme.

C'est pour nous que cela est nécessaire, en nous donnant le mérite de participer à cette immense entreprise: glorifier, sanctifier et exalter le nom de Dieu devant toutes Ses créatures.

Imaginons une délégation venue pour glorifier un roi humain. Si tout le monde prononce exactement le même discours, le second orateur risque de se sentir gêné. Et quelle ne va pas être la confusion du dernier, en s'apercevant qu'il n'a absolument rien ajouté à ce qu'ont dit ses prédécesseurs !

C'est pourquoi, dans Son amour, Hachèm a créé chaque homme avec une contexture psychique absolument individuelle et unique, donc un Yétsèr Hara' bien à lui qui rend sa lutte spirituelle différente de celle de tout autre être humain passé, présent ou à venir. Son Kiddouch Hachèm est par conséquent lui aussi radicalement différent de n'importe quel autre. Il en résulte que chacun a sa part personnelle et unique du monde à venir, qui est sienne et rien que sienne, afin que le bonheur de la récompense ultime soit total et sans pareil.


4. Un rôle unique à jouer

Cela explique aussi pourquoi chacun naît dans le milieu propice au Kiddouch Hachèm spécifique qui lui incombe.

Certains doivent faire face à l'épreuve de la richesse et des plaisirs de ce monde, qui consiste à ne pas s'y noyer, à ne pas troquer son Créateur contre une idéologie matérialiste, comme le dit le verset: "De peur que je ne sois rassasié et que je renie, disant: Qui est Dieu?"

D'autres au contraire doivent subir l'épreuve de la pauvreté et de la souffrance sans en venir pour autant à interpeller la providence divine. Le cas de l'infirmité congénitale est un exemple extrême de ce principe. La tâche de se mesurer au malheur petit incomber au malade lui-même: ou parfois elle a pour sujet ceux qui doivent le soigner et s'occuper de lui.

En aucun cas il ne s'agit de "châtiment", mais de l'occasion de jouer une partition unique dans le grand orchestre de la sanctification du Nom qui est la trame même dont est tissé l'univers.

Extrait du Mi’khtav Mé-Éliaoudu Rav Éliahou Desler (publié par l’institut Rachi)