Se rendre devant une instance juridique non juive

Se rendre devant une instance juridique non juive


Les interdictions


Palais de justice de Paris

Il peut arriver facilement que des Juifs se trouvent en opposition sur des problèmes financiers ou se confrontent sur des différends concernant leurs entreprises. Que font-ils alors ? Sans doute par ignorance de l’interdiction d’une telle démarche, nos coreligionnaires sont facilement capables de se lancer l’un à l’autre des lettres d’avocats et des convocations en justice. Or, comme nous allons le voir, ce n'est pas évident.

La Guémara (Guittine 88b) rapporte le verset (Chémote/Exode 21,1) Et voici les lois que tu déposeras devant eux, pour en conclure que ce n’est que devant « eux » qu’il y a lieu de déposer un différend, et non devant des païens - toute instance non juive s’entend.

Dans le cas où deux Juifs entrent en conflit, il leur est donc interdit de demander à un non Juif de se porter comme juge entre eux. Rabbi Tarfone, l’un des grands Maîtres de la Michna, explique que cette intervention reste exclue même si cette instance est capable de traiter leur différend selon la Halakha la plus pure.

Le Rambane apporte une autre précision : cette interdiction est valable même si les deux parties se sont mises d’accord d’accepter de suivre les instances des non Juifs, même dans des cas où ils suivent la compréhension juridique de la Tora. Cette idée est rapportée par le Choul’hane ‘Aroukh (‘Hochèn Michpate 26,1).

Il est même interdit de passer par des moyens de coercition non juifs pour forcer un opposant à se rendre devant un tribunal juif (Rama au nom du Mordékhaï). De cette disposition, il est possible de déduire qu’il est même interdit d’ouvrir un dossier au tribunal civil sans avoir l’intention de se présenter finalement devant une telle instance, mais dans l’unique intention de faire pression sur l’autre partie : s’il est interdit d’utiliser un intermédiaire non juif juste pour forcer l’autre à venir devant un tribunal rabbinique, à plus forte raison sera-t-il interdit d’utiliser une telle voie, d’ouvrir une procédure devant une juridiction civile, pour forcer l’autre partie à accepter finalement de se rendre devant un tribunal rabbinique.



Palais de justice de Paris
Le Maharil Diskine (Pessakim 20) permet en revanche d’envoyer une lettre à la partie opposée pour la menacer d’entreprendre une telle démarche devant le tribunal civil, si l’option du tribunal rabbinique n’est pas acceptée, car ceci n’est qu’une menace en l’air.

En revanche, le Tachbèts (IV chap. 6) semble interdire même une telle conduite, quand il écrit : « A partir du moment où il se lève et devient arrogant, disant qu’il veut aller devant les instances civiles, on doit l’en dissuader… ».
D’après cet avis, il est interdit de demander à un avocat d’envoyer une lettre menaçant de poursuites devant le tribunal si l’autre ne répond pas à sa plainte ou refuse d’aller au Bèt Dine.


En conséquence, dans des cas de cet ordre, et que l’autre ne tient pas compte de la plainte, il est conseillé de demander à l’avocat d’éviter de parler ouvertement d’instances civiles dans sa lettre, mais de dire que, s’il ne répond pas à sa plainte, son client usera de tous les moyens en sa possession (s’il peut préciser que cela sera fait selon le Dine Tora, c’est bien entendu plus valable).

Dans le cas où les deux parties ont convenu à l’avance que tout conflit sera porté devant des instances civiles, peut-on dire qu’alors la chose est permise ? Le Roch dans ses responsa (18,4 - rapporté dans le Choul'hane 'Aroukh id., 3) répond que dans ce cas-là également une telle démarche est interdite : un tel accord est interdit, et ne peut être respecté (voir toutefois Sma' et Nétivote, et Toumim chap. 4).

S’il se mettait à jurer qu’il n’est prêt qu’à se présenter devant une instance civile, le serment est vain (Maharam Alchikh chap. 26, Chakh chap. 5).



Cour d’appel de Paris

Si cette affaire a été consignée dans un contrat entre les deux parties, et que la personne qui est assignée a donné son accord à l’autre d’aller au tribunal civil, malgré cela l’autre n’aura pas le droit d’agir ainsi.
Si malgré tout, cela a été fait, et qu’il a eu gain de cause, recevant plus que ce que le Dine Tora lui permettait d’obtenir, il devra rembourser la différence.


En vérité, il faut se poser la question de la gravité de cette démarche, puisque le Rambam (Hilkhote. Sanhédrine 26,7) écrit à son égard : « Toute personne se rendant devant eux est un scélérat ; c’est comme s’il profanait le Nom divin et l’outrageait ; il lève la main contre la Tora de Moché notre maître, que la paix soit sur lui ». Visiblement, en acceptant d’aller devant des instances civiles, la personne donne du crédit à ces lois, et n’en accorde aucun à la Tora, ce qui est décrit ici comme une opposition à la Tora de Moché.

Lorsqu’il s’agit juste par leur biais de forcer l’autre à se rendre devant le tribunal rabbinique, respect est tout de même apporté à leurs juges, et cela représente une grande profanation du Nom divin. Ceci concerne n’importe quelle instance civile qui ne suit pas la Tora, car de la sorte, on montre qu’on leur accorde puissance et droit, et leur donne une certaine valeur (Yakhine ou Bo’az II, chap. 19).

Analysons à présent le problème le plus actuel, en Érèts Israël en tout cas , comment doit-on considérer un juge juif qui ne suit pas la Tora dans ses décisions ?

Le ‘Hazone Ich (Sanhédrine 15,4) écrit : « Il n’y a aucune différence entre le fait de se rendre devant une instance non juive ou devant un juge juif qui se repose sur des lois étrangères, telles que les nations du monde en ont fondées. Au contraire, il est pire d’avoir affaire avec des juges juifs qui ont abandonné les lois de Hachèm et Sa sainte Tora au profit des lois arbitraires des nations. Ceci est valable même si tous les résidents d’une ville s’accordent sur un tel point - une telle décision n’a aucune valeur… - et ils sont considérés comme levant la main contre la Tora de Moché. »

Ce grand maître effleure dans son livre la question de la légitimité des lois
d’un pays (« Dina démalkhouta Dina »), mais conclut que cet argument n’est pas valable,
d’après une réponse du Rachba, lequel écrit explicitement que si un roi décrète que seule
la juridiction civile est valable, les juges juifs n’ont pas à se soumettre à une telle décision (conclusion du Rama ‘Hochèn Michpate 369, et Sma‘ chap. 21).


Cour d'assises de Paris
Le Midrach Tan’houma (début de Parachate Michpatim) ajoute qu’un Juif n’a pas le droit de dire à non Juif de venir avec lui devant ses instances civiles !

Ce n’est que si ce dernier refuse de se rendre devant un tribunal rabbinique qu’il est permis de sauver ses biens en se rendant devant un tribunal civil (Tachbèts IV,6).

De la même manière, il est interdit d’accepter un arbitrage dans de telles conditions.
Car une telle démarche a force de loi, et donc ne pourra être présentée devant des juges non juifs (‘Hochèn Michpate 68, Sma‘ chap. 13 et Nétivote chap. 4).

Mais il est des cas où un litige peut être présenté devant un tribunal civil ou devant un arbitre non juif, ainsi que nous allons le voir dans la suite.



Les permissions

La première partie a été consacrée à l’interdiction de se présenter, pour deux plaignants juifs, devant des instances non juives. Nous voulons préciser ici, les cas où une telle démarche peut tout de même être envisagée. Notons bien qu’il ne s’agit ici uniquement que d'une situation où deux Juifs sont en conflit.

La Halakha
considère en fait diverses situations dans lesquelles on peut envisager de présenter devant une instance non juive un différent opposant non seulement un Juif à un non Juif, mais même dans le cas d’une affaire opposant deux Juifs (l’un contre l’autre). Voyons dans quelles occurrences cela est envisageable.




Salle d'audience principale - Canada

Dans certaines occurrences,
il faut en toute urgence qu’une saisie soit prononcée, afin d’empêcher l’autre partie de passer à l’acte et de fixer une nouvelle situation, ou de s’enfuir, ou de cacher les biens ailleurs. Peut-on alors faire appel au tribunal civil juste pour entraver des conduites de cet ordre, sans nullement demander que l’affaire ne soit portée devant le tribunal pour y être jugée ?
Si la situation le permet,
il est évidemment mieux de commencer par présenter l’affaire devant le Bèt Dine, qui, lui, jugera si la démarche est justifiée et la permettra le cas échéant. En revanche, s’il est impossible d’attendre, il sera possible de demander l’arrêt des travaux ou la saisie des objets, puis de suite il faudra entreprendre une démarche au Bèt Dine, pour éclaircir la situation. Si l’autre partie refuse, à ce moment-là, il sera possible de demander l'autorisation de se présenter devant le tribunal civil (Iguérote Moché ‘Hochèn Michpate chap. 2 par.11).

Bien entendu,
si l’autre partie accepte d’écouter le Dine Tora, il faudra juste demander au Bèt Dine d’intervenir pour faire cesser les travaux ou pour bloquer la situation.

Lorsque la situation
est inverse, que c’est la personne religieuse qui, elle, est convoquée par un coreligionnaire devant des instances civiles, il est permis de se rendre devant le tribunal civil pour sauver son argent, ou pour faire lever une saisie (Késsèf hakodchim ‘Hochèn Michpate chap. 26). C’est vrai qu’il vaut mieux demander autorisation au Bèt Dine, mais ce n’est pas obligatoire.

Dans le cas où une personne
a obtenu le droit d’aller au tribunal civil, et que cela lui a occasionné de grandes dépenses en avocats et autres du fait de cette affaire, elle peut, si elle a gagné son procès, exiger également le remboursement des frais engagés (Rama 14,5). Si, par contre, cette personne n’a pas demandé autorisation à se présenter devant le tribunal civil, elle ne pourra pas exiger ce remboursement (‘Érèkh Chaï chap. 26).

Dans tous les cas,
si le tribunal civil a condamné à payer plus que ce que le tribunal rabbinique aurait décidé, il se peut que l’objet ou l’argent soit considéré comme un vol selon la Tora, et il faudra demander aux juges religieux la conduite à tenir. Il se peut qu’il faille rendre l’argent ainsi reçu.

Il arrive
que l’on ait besoin d’une évaluation de la valeur d’un objet, ce que peut faire un tribunal civil. Il est permis de faire appel à eux, car ce n’est en aucune façon un jugement qui sera de la sorte rendu.




Cour suprême du Canada
Dans le cas des tribunaux du travail, fondés afin de résoudre les conflits entre les employés et leurs patrons, dès qu’ils sont obligés de suivre les lois de l’Etat, ils sont considérés comme des instances juridiques dans le plein sens du terme, et il n’est pas permis de se présenter devant eux lorsque le conflit concerne deux Juifs.

Mais dans un lieu de travail spécifique ou entre deux commerçants, on trouve des instances indépendantes des lois de l’Etat (des prud’hommes) qui ne suivent que les règles qui règnent dans le domaine du commerce ou des relations dans les entreprises.

Il est permis de présenter un conflit devant eux, même s’ils ne suivent pas le Dine Tora.

Quand on est amené
à présenter une demande d’indemnité de la part d’une compagnie d’assurances, même si cette dernière n’accepte pas de se rendre devant un Bèt Dine, il faut commencer la procédure en l’assignant devant une telle instance, et seulement après cela il sera possible de demander autorisation de faire appel aux tribunaux civils pour obtenir le paiement de ce que la compagnie d’assurance s’était engagée à payer.
Dans cette occurrence, il est permis d’accepter toute somme, même si le Bèt Dine n’aurait pas accordé de tels montants, car la compagnie elle-même s’était engagée dans la police d’assurance à payer telle et telle somme, selon la police ou selon la décision de l’instance civile.

Si l’on hésite,
on pourra par la suite présenter devant les juges du Bèt Dine la décision du tribunal civil et leur demander leur avis. On pourra de la sorte avoir l’esprit tranquille (Téchouvote véhanehagote III, 445).

Tout ceci
laisse encore de la place pour se demander comment il faut se conduire dans des cas où il faut se plaindre à la police, ou à la municipalité, ou au tribunal afin de sauver ses biens, bien que les conséquences de cette plainte puissent être très graves pour la personne contre laquelle elle est portée.


Les instances civiles en cas de litiges




Concile de Dayanim
Tout litige entre Juifs peut être jugé par un Bèt Dine. En revanche, il n’est pas a priori permis de se tourner vers des instances civiles dans de telles situations. Toutefois, il existe certains cas qui pourront être portés à la connaissance d’autorités non juives telles que la police, ou des commissions de recours municipales ; c’est ce que nous allons évoquer plus loin.

Dans le cas
de conflit avec un non Juif, il est préférable de se présenter devant un Bèt Dine, mais rares sont les non Juifs qui acceptent une telle option ! Dans ce cas-là, le Juif a le droit de porter l’affaire devant un tribunal non juif, afin de ne pas subir de préjudice (Tachbèts IV, 6).

Dans l’autre sens,
si un non Juif entame une procédure contre un Juif devant un tribunal civil, il est permis au Juif de s’y rendre. En effet, si l’une des parties ne se présente pas, elle perdra probablement son procès et en sera donc lésée. Cette conséquence fâcheuse justifie que l’on puisse aller se défendre devant une juridiction non juive.

C’est aussi la raison
pour laquelle il est permis d’aller témoigner en faveur d’un Juif cité en justice civile par un non Juif, et ce, même de façon volontaire. S’il s’agit de témoigner contre le Juif, mais que l’on a été convoqué par le tribunal civil, cela reste permis à corps défendant, puisque l’on risque d’être inquiété si l’on refuse de témoigner.

En revanche,
si l’on est en présence d’un litige entre deux Juifs, et que l’une des parties a porté l’affaire devant une instance civile sans avoir au préalable obtenu l’autorisation d’un Bèt Dine (cf. plus loin les cas où cela peut s’obtenir), il sera interdit à un tiers Juif de témoigner en faveur de celui qui a préféré une telle instance puisque la démarche de ce Juif était illicite (Rav Élyachiv). Toutefois, dans le même cas, si c’est le tribunal qui convoque un Juif pour qu’il témoigne, il sera tenu de venir déposer à la barre.



Bèt Dine de Casablanca
Bien entendu, si le témoignage qu’il peut apporter est en faveur de la personne qui a été attaquée en justice dans de telles conditions, il lui sera bien entendu permis d’aller témoigner.

Un avocat juif
censé représenter un Juif ayant porté un litige contre un autre Juif devant une juridiction civile ne pourra effectivement le faire que si le Bèt Dine l'en a autorisé. En revanche, il pourra toujours défendre un Juif attaqué par un autre Juif devant un tribunal civil.

Dans un litige
opposant deux Juifs, il reste interdit de se présenter devant une juridiction civile même si cette dernière propose un règlement à l’amiable. En revanche, on peut faire appel à un arbitre ou médiateur, dans la mesure où ce dernier donnera un avis de bon sens, et non une décision issue de lois fixes (‘Aroukh Hachoul’hane 22, chap. 8, selon le Chakh chap. 15). En conséquence, on peut contacter un avocat par exemple, que celui-ci soit juif ou non, pour qu'il serve d'arbitre dans une affaire (cette question nécessite réflexion quand elle concerne des séfarades, selon l’avis du Bèt Yossèf dans le cas d’une personne non juive - voir ‘Hochèn Michpate 22,2).

De nombreux litiges
civils ont pour origine des querelles de voisinage. Les dispositions municipales, qui ont force de loi, doivent être respectées (Minhag hamédina), dans la mesure évidemment où elles ne vont pas à l’encontre de la Halakha. Dans le cadre de ces lois, un litige entre voisins doit être porté devant un Bèt Dine. Il est toutefois possible de se présenter devant une juridiction civile, en général municipale, composée dans le but de résoudre des conflits entre voisins, à condition qu’il n’y ait pas prétention, de la part de ces juges de s’opposer ouvertement aux lois de la Tora, et seulement quand la validité d’une instance toranique n’est pas reconnue par la municipalité (Chévèt halévi 10,263).

Dans le cas particulier
des permis de construire, il est possible de déposer des recours en contestation devant des comités préposés à cela. Dans quelle mesure un Juif a-t-il le droit de s’y présenter ? Là encore, si le silence ou l’inaction risque d’entraîner un préjudice certain, on aura le droit de faire appel à ce type de comités. En revanche, si cette action est engagée pour se venger d’un voisin, il s’agit alors d’une dénonciation pure et simple, et en tant que telle elle st interdite. Ceci est valable également si la municipalité est gérée par des Juifs.

Prenons un cas concret :
il arrive qu’un voisin s’installe sur une partie commune pour y agrandir son propre bien. Si les voisins font savoir leur opposition, et que ce premier passe outre, il est préférable de se diriger vers le Bèt Dine pour régler ce différent. Si ce voisin refuse de se rendre au Bèt Dine ou que le temps manque pour entreprendre une action conséquente devant une telle instance, il est possible de demander autorisation de la part du Bèt Dine de se diriger vers la municipalité pour qu’elle intervienne et lui interdise de continuer de construire.



Bèt Dine de Marakèch

Dans une municipalité dans laquelle, l’ensemble des membres dirigeants sont religieux, les décisions prises sont validées par la Halakha, car elles visent le bien être des habitants, répondant ainsi à l’obligation religieuse faite à un d’un groupe de se doter de lois internes. En revanche, si une partie des élus n’est pas pratiquante, leurs décisions collégiales perdent de leur force, et se réduisent à la valeur de lois civiles (Chévét Halévi id.).

Une autre autorité civile incontournable est la police. Voyons dans quels cas il est permis de faire appel à elle. Face à toute personne susceptible de causer un dégât imminent, il est évidemment licite de téléphoner à la police, s’il est impossible de contrecarrer d’une autre façon les agissements de cet individu.

Cela est valable
en présence d’un voleur par exemple, ou d’une personne dont la conduite automobile risque de mettre en danger la vie d’autrui (vitesse excessive, conduite sans permis, stationnement dangereux, etc.). Dans ce dernier cas, il est nécessaire de prévenir la personne que ces agissements, s’ils perdurent, seront dénoncés à la police. S’il persiste, on peut alors avertir les services de sécurité (Min’hate Its’hak VIII, 148), et ce même si le chauffeur encoure une suspension de permis ou une amende.

Dans le cas
d’un voleur, l’appel à la police reste permis même si l’on ne peut pas préalablement avertir le voleur.

Il est évident
que l’appel aux forces de l’ordre ne s’entend que pour se protéger ou protéger autrui d’un danger, et non pour se venger du fauteur de troubles. C’est la raison pour laquelle on ne peut dénoncer autrui pour une faute occasionnelle, ou commise involontairement

Dans cet esprit,
on ne pourra pas faire appel à la police dans un cas de violence familial inhabituel et isolé. En revanche, on devra avertir l’auteur de ces violences qu’il risque d’être dénoncé à la police en cas de récidive. Si cette personne ne tient pas compte de l’avertissement, on pourra alors se tourner vers les services compétents pour mettre fin à ses agissements, et cela, quelles que soient les conséquences auxquelles il s’expose (le Mahara’h Or Zaroua' chap. 142).

Le Choul’hane ‘Aroukh
établit une différence entre une personne qui fait souffrir le public et celle qui s’en prend à un seul individu : le simple fait de faire souffrir la collectivité autorise déjà qu’on fasse appel aux autorités (après l'avoir averti). Exemple : un individu qui dénonce impunément et régulièrement les autres peut être dénoncé à son tour ; de même, s'il frappe intentionnellement une ou plusieurs personnes.

Mais s'il ne fait que déranger,
on fait une différence entre une collectivité et un individu seul (‘Hochèn Michpate chap. 388 9-12 et S’ma‘ 30). Nous l’avons vu, lorsqu’il s’agit de faire appel à des instances non juives, chaque cas d’espèce demande une réflexion particulière et minutieuse. Nous en évoquerons d’autres dans le prochain numéro.


Dénoncer autrui



Rav Chalom Méssas - Bèt Dine de Casablanca
Nous avons vu précédemment, certaines situations pouvant autoriser la dénonciation d’un autre Juif auprès des autorités judiciaires ou policières non juives, et les conditions qui doivent être respectées dans ces circonstances. Il existe d’autres cas à envisager. Rappelons que si nos Sages ont si fortement condamné tout délateur, c’est parce qu’à leur époque, il était facilement possible d’entraîner la mort d’une personne en la dénonçant, même pour de simples problèmes d’argent. Nos Sages ont donc donné aux délateurs un statut de « rodèf» (qui poursuit l’autre pour le tuer), statut qui autorise à le tuer, s’il n’a pas écouté les mises en garde et qu’il n’y a pas d’autre solution...

De nos jours, dans des Etats démocratiques, une simple dénonciation dans des litiges financiers n’a pas de conséquences aussi tragiques (NDLR : bien qu’une dénonciation puisse avoir de très graves conséquences même de nos jours pour la santé de la personne qui en fait l’objet, et pour la bonne renommée de son entourage direct…).

Toutefois
l’interdit de dénoncer sans raison valable à la justice ou aux autorités civiles reste en vigueur. En effet, ce faisant, le dénonciateur entraîne que des instances non juives interviennent dans un conflit entre deux Juifs, et ceci nous ramène, quand c’est la justice civile qui est interpellée, au problème de base de rejet des lois de la Tora donnée par Moché pour gérer la vie juive, y compris les différents entre les membres de notre communauté.

Il est aussi possible que l’instance civile prenne une décision contraire à la Tora, ce qui fait que le Juif qui remporterait le litige volerait son adversaire selon la loi mosaïque. Rappelons ici que le Michna Béroura (53,2) interdit de nommer une personne qui présente ses différends devant les instances civiles comme ministre officiant pour les grandes fêtes - et ce même s’il s’avère qu’il est inconscient de l’interdit qu’il transgresse (en hébreu : choguèg).

Peut-on dénoncer un faussaire à la police, ou une personne qui commet d’autres forfaits de cet acabit (contrefaçon, filouterie…) ?

Comme nous l’avons déjà vu précédemment, il est une question initiale que l’on doit se poser avant même de penser à faire appel à la police : les infractions commises par cet individu portent-elles préjudice à autrui ? Si la réponse est non, il ne sera pas permis de le dénoncer à la justice. En revanche, si ses actes entraînent des dommages auprès du public, qu’on l’a averti et qu’il continue à mal agir, le Rama (488, 12) permet de prévenir les autorités. Soulignons que le Rav Moché Feinstein zatsal (Iguérote Moché Ora'h 'Haïm tome V, 9,11) explique que cette autorisation n’est valable que des circonstances précises : si un groupe ou une personne sont soupçonnés à tort, il leur est possible, dans le but de se disculper, d’avouer qui a réellement commis ces méfaits.

C’est donc une conception très restrictive des autorisations de dénonciation d’un malfaiteur que nous livre le Rav Moché Feinstein.


Quelle sera la conduite à tenir si un individu vend de la drogue dans son quartier ? Nous avons déjà vu qu’il était permis de dénoncer une personne susceptible de porter préjudice à la vie d’autrui en raison de ses actions déraisonnables, dans la mesure où on lui avait demandé d’y mettre fin et qu’elle n’a pas écouté nos avertissements. Il est ainsi permis d’agir de la sorte envers une personne qui roule trop vite, car elle risque de tuer ou de blesser des gens ; dans le cas de la drogue, les conséquences désastreuses sont encore plus directes et certaines ; il sera donc autorisé et même recommandé de tout faire pour qu’un dealer soit mis hors d’état de nuire.




Haut Tribunal Rabbinique de Rabat
Quelle est la marche à suivre si les falsifications touchent au domaine de la Kacheroute ?

Le Rav Moché Feinstein (id. ‘Hochèn Michpate I,8) conclut qu’il n’est pas permis a priori de dénoncer un tel Juif aux instances civiles, même si elles peuvent parvenir à la même conclusion que le tribunal rabbinique.

Le verdict pourrait être plus sévère que celui qu’une instance rabbinique pourrait adopter, comme l’incarcération, et alors il s’agirait d’une dénonciation proprement dite, totalement prohibée.


Si les Dayanim voient qu’ils ne parviennent pas à empêcher un individu de continuer à vendre de la viande non cachère sous un label de garantie rabbinique, ils peuvent, une fois un dernier avertissement lancé, se tourner vers le tribunal ou vers la police pour qu’ils interviennent.


Nous avons abordé précédemment le cas d’une personne ayant demandé et reçu l’autorisation du tribunal rabbinique de se rendre devant le tribunal civil pour préserver ses biens ou faire valoir son bon droit (ex. : un Juif attaqué par un autre Juif, qui refuse de porter l’affaire devant le Bèt Dine). Rappelons qu’elle doit alors se limiter aux éléments qui sont liés à l’affaire qui l’amène au tribunal, et qu’elle ne doit pas en profiter pour dévoiler que son adversaire triche avec les impôts ou transgresse d’autres lois ..


Une fois qu’on a convoqué une personne au Bèt Dine et qu’elle n’est pas venue, on peut la citer devant le tribunal civil. Après l'avoir prévenu des conséquences de son refus, le plaignant peut dévoiler toute la vérité pour obtenir gain de cause, même si ceci risque d’entraîner qu’il doive payer une amende ou qu’il puisse être jeté en prison. Mais ceci n’est valable que si ses déclarations n’entraînent pas de problèmes à une tierce personne (Knessèt Haguédola Tour ‘Hochèn Michpate 26,19 ; Téchouvote véhanehagote III, 438).


Dans tous ces cas, il faut toujours prendre conseil auprès d’un Dayane spécialisé en la matière, parce qu’on peut facilement être amené à penser que la voie qu’on suit est la seule permettant d’obtenir gain de cause, alors qu’il en existe d’autres plus licites ; dans d’autres cas, on peut être amené à penser qu’une certaine démarche est permise, alors que ce n’est pas le cas. Par ailleurs, on ne peut entamer une quelconque poursuite si les droits que l’on exige sont discutables ou que les préjudices dont on se plaint ne sont pas réellement avérés.




Haut Tribunal Rabbinique de Rabat
Notons ici qu’il est défendu d’acheter en Érèts Israël des objets lors d’enchères organisées par les tribunaux à la suite de saisies (Hotsaa lapo’al), car il se peut que ces objets n’aient pas été saisis selon les critères de la Halakha. A l’étranger, la saisie est évidemment légitime.

Quelle est la Halakha si une personne s’est tournée dans un premier temps vers les instances non juives, puis qu’elle s’est rétractée, en comprenant l’interdiction liée à cette action, et a décidé de porter l’affaire devant un tribunal rabbinique ? Il y a des divergences de vue entre les décisionnaires Achkénaze (Rama) et Séfarade (Bèt Yossèf).


Les décisionnaires Séfarade admettent (selon le Bèt Yossèf) qu’il est possible d’accepter un tel retour vers les instances juives, même après une première démarche devant le tribunal civil. Selon ces Sages, même si le jugement a été rendu et que la personne a perdu son procès - elle peut encore se reprendre et tout recommencer devant le Bèt Dine.


En revanche, les décisionnaires Achkénazim (Rama, deux avis dans 'Hochèn. Michpate. 26,1) n’admettent pas qu’un tel dossier soit étudié par le Bèt Dine, quand le tribunal civil a déjà statué. La raison d’un tel refus est une sanction en direction du plaignant ayant osé présenter son dossier devant une instance civile ; ainsi, dans le cas où il aurait perdu, le Bèt Dine le condamne à subir cette perte.


Cela peut être aussi la suite de la logique de ce Juif qui, en allant au tribunal civil, a décidé par avance d’accepter toute décision qui en émanera. Il se fie donc à des jugements étrangers, et par conséquent l’argent qu’il peut en perdre revient légitimement à l’autre partie.


Toutefois, si les deux parties étaient dans l’ignorance de l’interdiction halakhique de se présenter devant les instances civiles, il n’y a pas lieu de les punir de leur démarche, et il sera possible de les accepter au Bèt Dine.


De même, si au milieu des débats, avant le verdict, le plaignant décide de donner la préférence au Bèt Dine, il sera également accepté par lui. Néanmoins dans ce cas, si la personne poursuivie avait proposé d’aller au Bèt Dine, et que le plaignant, en un premier temps, avait refusé une telle démarche, le Bèt Dine exigera au préalable que le plaignant rembourse les frais divers qu’il a causé à son adversaire, comme les frais d’avocat par exemple (Téchouvote véhanehagote III, 441-443).


Note : D'après le droit civil, quand doit-on dénoncer une infraction ?
Nous avons consulté Maitre Jacques Kohn, qui nous a répondu : « L’obligation de dénoncer une infraction n’existe, en droit français, que pour les crimes justiciables de la Cour d’assises.


Article 434-1 du Nouveau Code pénal : « Le fait, pour quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Sont exceptés des dispositions qui précèdent, sauf en ce qui concerne les crimes commis sur les mineurs de quinze ans :

1 – Les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et sœurs et leurs conjoints, de l’auteur ou du complice du crime

2 – Le conjoint de l’auteur ou du complice du crime, ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui.

Sont également exceptées des dispositions du premier alinéa les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13. »



Exiger le remboursement des frais de justice



Bèt Dine d'Oujda
Rembourser les frais de justice est une pratique courante devant les instances juridiques civiles, mais n’existe pratiquement pas devant un Bèt Dine.

Voyons ici, suite à nos divers articles sur les possibilités de recours devant des instances civiles, ce qu’il en est de cette question : dans quels cas peut-on exiger le remboursement des frais selon la Halakha ?


Dans le cadre normal d’un conflit opposant deux Juifs devant un tribunal rabbinique, le perdant ne peut être forcé de payer les frais du gagnant. La raison en est que la Halakha ne prévoit d’imposer à une personne de payer des frais que lorsqu’il y a une véritable volonté de causer des dommages à autrui. Dans le genre de cas qui nous concerne ici, il ne s’agit que de personnes qui tentent de récupérer leur argent.


Les auteurs plus récents précisent qu’il en est différent si le plaignant utilise des arguments fallacieux, ou si la personne attaquée tente d’échapper à la plainte par des faux-fuyants. Dans ce cas, le perdant devra payer les frais occasionnés par l’affaire (Choute Yéchou’ote Israël ‘Hochèn Michpate 14,5).


Il arrive souvent qu’une personne, convoquée en justice, refuse se présenter devant les juges et cherche à gagner du temps de manière injustifiée. Dans quelle mesure l’autre partie pourra-t-elle demander réparation du temps perdu ? La situation est différente selon l’instance choisie, le Bèt Dine ou le tribunal civil.


Si le plaignant a présenté l’affaire devant le Bèt Dine, et que le refus de l’autre partie lui occasionne des dépenses, il pourra demander remboursement des sommes concernées, s’il gagne le procès bien entendu.. Mais si c’est le plaignant qui perd, les avis sont partagés à cet égard (selon le Sma’, la personne attaquée est dispensée de rembourser ces frais, et selon le Toumim et le Nétivote, elle doit tout de même les régler). .


Si toutefois la personne qui ne s’est pas présentée devant le Bèt Dine peut prouver que son absence était justifiée par un cas de force majeure, et qu’elle n’a même pas pu prévenir au préalable, elle est alors dispensée de tout remboursement.


Si c’est le plaignant qui finalement ne vient pas le jour convenu et renonce à sa plainte, la personne attaquée ne pourra pas exiger le remboursement des frais que cela lui aura causé, car cela peut s’interpréter comme une annulation de la plainte, et que l’autre partie ne peut que s’en réjouir.


C’est pour cette raison qu’un mari qui s’est engagé à donner son Guèt à sa femme tel jour, à tel endroit, tel et, et qui n’est pas venu, doit lui payer tous les frais. En revanche, s’il abandonne totalement sa demande de divorce, il n’aura pas à payer les frais occasionnés (sauf évidemment si le Bèt Dine avait imposé au mari de donner le Guét durant cette séance).


Encore faut-il que ce ne soit pas une « manœuvre » du plaignant, qui par exemple reprendrait sa plainte devant le Bèt Dine, mais la laisserait ouverte devant un tribunal civil… Dans ce cas, les Dayanim doivent se pencher sur le dossier avec grand soin, et s’ils pensent que c’est justifié, doivent exiger le remboursement des frais occasionnés.


Si du fait du refus de la personne attaquée de se présenter devant le Bèt Dine, le plaignant a dû se rendre devant un tribunal civil, ce qui lui a occasionné des frais, la possibilité de se faire rembourser est différente selon que la personne lésée est Séfarad ou Achkénaz.


Selon le Bèt Yossèf, , il semble bien que l’on ne puisse pas se faire rembourser les frais. Exception sera faite si la personne lésée a déjà reçu cet argent, ou qu’il a sous sa main de l’argent qui appartient à l’autre. Dans ce cas, il pourra retenir une somme correspondant à sa perte (Maharachdam ‘Hochèn Michpate chap. 35).




Réunion de representants de Baté Dine
Bien entendu, si le témoignage qu’il peut apporter est en faveur de la personne qui a été attaquée en justice dans de telles conditions, il lui sera bien entendu permis d’aller témoigner.

Un avocat juif
censé représenter un Juif ayant porté un litige contre un autre Juif devant une juridiction civile ne pourra effectivement le faire que si le Bèt Dine l'en a autorisé. En revanche, il pourra toujours défendre un Juif attaqué par un autre Juif devant un tribunal civil.

Dans un litige
opposant deux Juifs, il reste interdit de se présenter devant une juridiction civile même si cette dernière propose un règlement à l’amiable. En revanche, on peut faire appel à un arbitre ou médiateur, dans la mesure où ce dernier donnera un avis de bon sens, et non une décision issue de lois fixes (‘Aroukh Hachoul’hane 22, chap. 8, selon le Chakh chap. 15). En conséquence, on peut contacter un avocat par exemple, que celui-ci soit juif ou non, pour qu'il serve d'arbitre dans une affaire (cette question nécessite réflexion quand elle concerne des séfarades, selon l’avis du Bèt Yossèf dans le cas d’une personne non juive - voir ‘Hochèn Michpate 22,2).

De nombreux litiges
civils ont pour origine des querelles de voisinage. Les dispositions municipales, qui ont force de loi, doivent être respectées (Minhag Hamédina), dans la mesure évidemment où elles ne vont pas à l’encontre de la Halakha. Dans le cadre de ces lois, un litige entre voisins doit être porté devant un Bèt Dine. Il est toutefois possible de se présenter devant une juridiction civile, en général municipale, composée dans le but de résoudre des conflits entre voisins, à condition qu’il n’y ait pas prétention, de la part de ces juges de s’opposer ouvertement aux lois de la Tora, et seulement quand la validité d’une instance toranique n’est pas reconnue par la municipalité (Chévèt Halévi 10,263).

Dans le cas particulier
des permis de construire, il est possible de déposer des recours en contestation devant des comités préposés à cela. Dans quelle mesure un Juif a-t-il le droit de s’y présenter ? Là encore, si le silence ou l’inaction risque d’entraîner un préjudice certain, on aura le droit de faire appel à ce type de comités. En revanche, si cette action est engagée pour se venger d’un voisin, il s’agit alors d’une dénonciation pure et simple, et en tant que telle elle st interdite. Ceci est valable également si la municipalité est gérée par des Juifs.

Prenons un cas concret :
il arrive qu’un voisin s’installe sur une partie commune pour y agrandir son propre bien. Si les voisins font savoir leur opposition, et que ce premier passe outre, il est préférable de se diriger vers le Bèt Dine pour régler ce différent. Si ce voisin refuse de se rendre au Bèt Dine ou que le temps manque pour entreprendre une action conséquente devant une telle instance, il est possible de demander autorisation de la part du Bèt Dine de se diriger vers la municipalité pour qu’elle intervienne et lui interdise de continuer de construire.




Bèt Dine de Marrakèch

Dans une municipalité dans laquelle, l’ensemble des membres dirigeants sont religieux, les décisions prises sont validées par la Halakha, car elles visent le bien être des habitants, répondant ainsi à l’obligation religieuse faite à un d’un groupe de se doter de lois internes. En revanche, si une partie des élus n’est pas pratiquante, leurs décisions collégiales perdent de leur force, et se réduisent à la valeur de lois civiles (Chévét Halévi id.).

Selon le Rama, si demande a été faite devant un Bèt Dine de se rendre devant l’instance civile, il sera possible d’obtenir aussi remboursement des frais. De même, si le Bèt Dine a donné son verdict, que le perdant n’est pas d’accord de payer et qu’il faut entamer une procédure de saisie (Hotsaa lapo'al), il demandera donc la permission au Bèt Dine et pourra exiger le remboursement de toutes les dépenses que ce refus a entraîné (‘Aroukh Hachoul’hane 14,12).

Passons à présent à la nature des frais qu’il est possible de se faire rembourser.

Le Lévouch (‘Hochèn Michpate chap. 14) considère que les frais d’avocat, engagés par la personne mise en cause sont des frais imputables à l’autre : si le plaignant refuse de se rendre au Bèt Dine et qu’à la suite de cela, il a fallu faire appel à un avocat, et s’acquitter de frais de justice plus élevés qu’au Bèt Dine, la personne responsable du changement d’instance devra tout rembourser, puisque c’est par sa faute que les frais ont augmenté.
Mais si l’autre partie aurait de toutes manières engagé un «To'èn Rabbani» (spécialiste occupant un rôle parallèle à celui d’un avocat dans le cadre du Bèt Dine) pour défendre ses intérêts devant le Bèt Dine, le fait de se rendre au tribunal rabbinique ne change rien aux frais que cette affaire lui implique, et ces frais ne peuvent pas être remboursés.


La Halakha ne permet pas de réclamer le règlement des jours d’absence au travail en suite aux séances passées au Bèt Dine (‘Hochèn Michpate 383,3).

S’il a été convenu au départ entre les deux parties que les frais seraient payés par le perdant, cet accord devra être respecté, comme toute autre convention pécuniaire entre deux personnes. Ceci bien sûr ne concernera que des frais normaux, et non point des frais exagérés ou qui ne sont pas liés directement à l’affaire, comme par exemple la note d’une chambre d’hôtel luxueux ou d’un restaurant de qualité. On ne pourra pas non plus dans un tel cas se faire rembourser les jours d’absence au travail.

En conséquence, si les honoraires de l’avocat semblent exagérés aux yeux des juges, ou si la personne a fait appel à un avocat exagérément onéreux pour une affaire relativement simple, cela sera considéré comme des frais superflus, et les juges pourront refuser de tout imputer à l’autre partie (cf. dans la réponse du Rav Moché Feinstein citée, qui explique comment il est possible d’exiger le remboursement de tous les frais).

Comment s’y prend-on pour fixer la somme à rembourser ? La personne attaquée doit amener des témoins ou des reçus prouvant la hauteur des dépenses. C’est au Bèt Dine d’apprécier leur validité et de fixer leur montant final.

Lorsqu’il n’y aucune preuve et que le Bèt Dine ne s’estime pas pouvoir fixer une somme acceptable par les deux partis, on pourra faire confiance au plaignant, mais ce dernier sera obligé de prêter serment pour assurer la véracité de ses dires. S’il refuse de jurer, il ne recevra alors que la somme qu’il est normal de dépenser dans un tel cas, même si c'est moins que ce qu’il revendiquait au départ (‘Aroukh Hachoul’hane 14,13).


L'obligation de porter témoignage



Rabbi Chaoul Aben Danan, Roch Av Bèt Dine - Rabat
L'une des Mitsvote de la Tora est l'obligation d'aller témoigner en faveur d'une autre personne si l'on peut livrer un fait en sa faveur. L'une des Mitsvote de la Tora est l'obligation d'aller témoigner en faveur d'une autre personne si l'on peut livrer un fait en sa faveur.
Nous analyserons aujourd'hui les conditions dans lesquelles cette Mitsva nous incombe.


Dans la Tora (Vaïkra/Lévitique 5,1), il est écrit : « Il est témoin, ou a vu, ou a su, s'il ne témoigne pas, il portera sa faute ». Malgré les apparences, c'est bien d'une Mitsva positive qu'il s'agit, ainsi que l'expliquent le Rambam (Mitsvate 'Assé 178) et le Séfèr Ha’hinoukh (122) : une personne qui peut aider son prochain en portant témoignage en sa faveur se doit de le faire.

Le Rambam ajoute toutefois (Mitsvate Lo Ta'assé 297) l'interdit de se taire, précisant que celui qui ne porte pas témoignage transgresse l'interdiction de « Lo Ta'amod 'Al Dam Ré’akha » (« ne reste pas insensible quand le sang de ton prochain est versé ») ! De la même manière qu'il y a non assistance à personne en danger lorsqu'on voit une personne se noyer, on aura aussi l'obligation d'empêcher des voleurs d'entrer par effraction chez le voisin ou de voler sa voiture. Et on sera donc de même obligé d'aller porter témoignage pour sauver les biens d'autrui.

Le 'Hafèts 'Haïm insiste sur cette obligation dans son livre, lorsqu'il parle de l'interdiction de « Rékhiloute » (9,1), de colporter du mal sur autrui. Si une personne possède une information qui pourrait éviter à autrui une perte d'argent ou l'empêcher de commettre une faute, elle devra la dévoiler au Bèt Dine ou à quiconque doit le savoir. L'interdiction de faire connaître les éventuelles mauvaises conduites ou intentions de l'autre ce qui est nommé « Rékhiloute » n'est pas transgressée ici.

Le 'Hafèts 'Haïm met toutefois en place trois conditions :
1. il faut être absolument sûr que l'acte a été accompli ou que la personne a fauté
2. ne pas en ajouter ne rien dire que la vérité !
3. n'agir que dans une bonne intention, et non point par vengeance ou autre sentiment négatif.


Une autre raison a été émise quant à l'obligation de témoigner. La Tora nous oblige à tout faire pour qu'un objet perdu et identifiable soit rendu à son propriétaire ; on sera obligé dans le même esprit de porter témoignage, afin que soit rendu à la personne ce qui lui revient selon ses droits (Imré Bina, 'Edoute 8 ' Cha'ar Hamichpate 28,2).
Dans les faits, le Choul’hane 'Aroukh ('Hochèn Michpate 28,1) apporte quelques restrictions à cette Mitsva


Tout d'abord, , il faut que le témoin soit apte à pourvoir témoigner selon les règles de la Tora pour pouvoir se présenter devant le Bèt Dine ou pour pouvoir avertir autrui. Un proche parent, une femme (si ce n'est pour témoigner de la mort d'un homme marié) ou un garçon de moins de treize ans ne sont pas concernés par cette Mitsva.

Si le témoin n'a pas vu de lui-même l'acte sur lequel il vient témoigner, mais en a été informé par une tierce personne (même s'il lui accorde totale confiance), ou s'il a reçu de l'accusé lui-même des aveux concernant une faute commise ou une dette contractée, il n'y a pas vraiment preuve que la chose s'est réellement passée, et le témoignage n'est pas accepté comme tel par le Bèt Dine. Toutefois, le tribunal peut s'intéresser à ce que ces personnes rapportent, afin de compléter son enquête et d'approfondir le sujet, sans que les éléments versés au dossier ne soient considérés comme un témoignage recevable. Dans un tel cas, il n'y a donc pas de Mitsva d'aller témoigner (Sma' 28, 3-4).

La Tora exige qu'il y ait deux témoins pour que le témoignage soit tangible et reçu officiellement comme tel. Si une seule personne seule est au courant d'un fait, a-t-elle l'obligation d'aller témoigner, puisque ce qu'elle dira n'aura a priori pas d'incidence ?

Le Rama écrit que dans le cas de différends sur des questions financières, un seul témoin peut suffire pour obliger l'une des parties en présence à porter serment. Son témoignage a donc un impact, et ce témoin se doit donc de témoigner au Bèt Dine. Dans des problèmes de Kacheroute alimentaire ou dans certains autres cas, le témoignage d'une seule personne est également accepté (« ‘Éd é'had néémane bé-issourim »), et il devra se présenter au Bèt Dine. En revanche, s'il s'agit de témoigner qu'une personne a commis une faute, un témoignage isolé n'aura pas d'influence, il n'y aura aucun Mitsva de venir témoigner, et au contraire, parler dans ce cas tombe sous l'interdit d'apporter une mauvaise renommée à autrui.

Le Choul’hane 'Aroukh pense que l'obligation de venir témoigner dépend de la décision du Bèt Dine de faire appel à témoignage ou pas. Si ce n'est pas le cas, nul n'est censé lui apporter son témoignage.

Certains font Remarquer que même si, dans certains cas, il n'y a pas a proprement parler une Mitsva de porter témoignage, la personne qui sait quelque chose a néanmoins l'obligation de tout faire pour que l'objet perdu soit rendu à son propriétaire, et pour empêcher l'autre de perdre ses biens, même si elle n'a pas été formellement convoquée au Bèt Dine.

La conclusion du Cha'ar Hamichpate (28,2) est que, s'il n'y a pas eu de plainte devant le Bèt Dine, ou si une personne n'est pas assurée qu'on a besoin de son témoignage, elle n'a pas d'obligation d'aller témoigner.

En revanche si elle apprend que le litige a déjà été porté devant le Bèt Dine et que son témoignage peut permettre de découvrir la vérité, elle doit se rendre au Bèt Dine même sans convocation.

Lorsque la personne est convoquée devant le Bèt Dine pour porter témoignage, elle peut exiger le remboursement des frais qu'elle engage pour cela, bien qu'elle soit obligée de s'y rendre (Imré Bina 'Édoute 8). En effet, puisque le but de ce déplacement est de sauver l'argent d'autrui, il serait anormal que cela fût au détriment d'un tiers, qui vient de plus témoigner en sa faveur.

Enfin, dans le cas où une personne n'est pas allée témoigner, bien qu'elle aurait pu apporter un élément qui aurait aidé autrui, elle a commis une faute pour les trois raisons évoquées plus haut.
Toutefois le Bèt Dine ne pourra pas lui imposer de réparer la perte causée à autrui (c'est en effet un cas de « guérama », de dommages non causés directement).
Elle n'est toutefois pas non plus quitte sans rien acquitter, car elle reste obligée « Midiné Chamaïm », face au Ciel, de compenser les pertes que son abstention a entraînées pour autrui. Ce paiement dépendra donc de sa propre volonté.



Les exceptions à l’obligation de porter témoignage




Rabbi Chaoul Aben Danan
Il existe dans la Guémara un principe général concernant un Talmid 'Hakham ; son rang peut le dispenser, voire lui interdire d’accomplir certaines Mitsvote qui incombent pourtant à un simple Bén Israël.
Un Talmid ‘Hakham sera par exemple dispensé de devoir ramasser un objet tombé de la poche de son propriétaire, ou de rattraper une vache errante, pour les rendre à celui qui les a perdus (Baba Métsi’a 30a et Choul'hane 'Aroukh 'Hochèn Michpate 263,3), ceci au titre que ce genre de démarche ne fait pas partie des occupations courantes d’un homme de ce rang.


Dans le même ordre d’idée, un Talmid ‘Hakham sera dispensé de venir porter témoignage devant un Bèt Dine dont les rabbanim sont de moindre envergure que lui.
En effet, la Guémara redoute une forme de préjudice qui serait causé au respect de la Tora si le Talmid ‘Hakham venait tout de même déposer devant une telle instance (Guémara Chévou’ote 30b et Choul'hane 'Aroukh 'Hochèn Michpate28,5).
Il faut toutefois souligner que cette dispense n’est valable que dans les cas de témoignage portant sur des divergences financières.
Le témoignage reste obligatoire s’il s’agit de statuer sur les questions de « permis/interdit » comme la Kacheroute d’un produit, ou le fait qu’une femme reste ou non permise à son mari.
Même si elle ne porte que sur les témoignages liés à des litiges financiers, il est intéressant de noter que cette dispense reste toujours valable de nos jours, alors qu’il arrive souvent que le Choul’hane ‘Aroukh statue qu’une loi ne s’applique plus du fait de l’absence de Talmidé ‘Hakhamim de la dimension de ceux du temps de la Guémara.


Néanmoins, un Talmid ‘Hakham a-t-il le choix de passer outre le Kavod qui lui est dû, et de ne pas profiter de cette dispense ?
Le Rambam et le Roch sont en discussion à ce propos, concernant la dispense de ramener un objet perdu à son propriétaire.
Le Rambam (et le Choul'hane 'Aroukh ad loc.) pense qu’un Talmid ‘Hakham peut passer outre le Dine spécifique à son endroit, car il doit toujours se comporter au mieux.
Il pourra donc s’occuper de retrouver le propriétaire de cet objet perdu. En revanche, le Roch (et le Rama ad loc.) pense que le Talmid ‘Hakham doit absolument respecter cette dispense de la Tora car s’il l’outrepassait, il y aurait manquement au respect dû à la Loi.
Il précise que si le Talmid ‘Hakham veut adopter une conduite exemplaire, il peut utiliser son propre argent pour rembourser au propriétaire la valeur de l’objet qu’il a vu et ne lui a pas restitué (dans la mesure où il serait responsable de la disparition définitive de cet objet).


Le Min’hate ’Hinoukh (122) est d’avis que cette discussion concernant la Mitsva de restitution d’un objet perdu peut être transposée à celle du témoignage devant un Bèt Dine de moindre envergure. Le ’Hinoukh semble prendre position dans ce débat, car il déclare « qu’il se doit d’éviter, s’il le veut, d’aller témoigner devant eux ».

Il existe toutefois une solution pratique à ce problème : le Bèt Dine peut envoyer trois personnes au domicile du Talmid ‘Hakham, lesquelles formeront alors un Bèt Dine qui pourra ainsi recueillir le témoignage du ‘Hakham. Cela règle ainsi la question du déplacement du Talmid ‘Hakham devant un tribunal rabbinique de niveau inférieur au sien (Rabbénou Yérou’ham). Il est aussi possible de recueillir son témoignage par écrit (Imré Bina ’Édoute 9), et le Bèt Dine pourra accepter le témoignage sous cette forme (bien qu’il ne soit en général pas accepté d’agir ainsi. Voir 'Aroukh 'Hochèn Michpate 22,12).

Le Min’hate ’Hinoukh (122) mentionne une autre exception à l’obligation de se rendre devant un Bèt Dine pour porter témoignage ; il s’agit de celle concernant des témoins potentiels cités à décharge par l’une des parties, mais qui refusent de témoigner par peur des réactions de la partie adverse, réputée pour être une personne dangereuse.
La dispense de témoigner ne peut leur être accordée par le Bèt Dine que lorsque celui-ci arrivera à la conviction que cette partie risque effectivement d’inquiéter les témoins.
En effet, sans le contrôle de l’effectivité de ce risque, toute personne pourrait user de ce prétexte pour refuser de venir témoigner (‘Aroukh Hachoul’hane 28,11).
Pour convaincre le Bèt Dine, il suffit que les témoins se présentent devant les Dayanim et déclarent qu’ils redoutent les conséquences de leur déposition.




Au centre, Rabbi Shlomo Aben Danan, Av Bèt Dine de Fès

Dans ce cas, le tribunal rabbinique pourra demander à la partie en cause de présenter elle les témoins qui la craignent.
La Guémara et le Choul’hane ‘Aroukh pensent que la peur qu’ils éprouvent, si elle les aurait empêchés de venir témoigner, ne sera toutefois assez forte pour les faire porter faux témoignage une fois devant les juges.
Si toutefois les Dayanime se rendent compte que cette méthode n’a pas servi, ou que les témoins font tout pour éviter de répondre de manière précise, ils sauront apprécier la situation en se passant de leur témoignage. Dans le même esprit, si la partie « redoutée » ne parvient pas à présenter les témoins convoqués par le Bèt Dine mais qu’elle en présente d’autres, le Bèt Dine sera alors doublement circonspect, car il est possible que ces témoins aient été forcés de témoigner ou aient accepté d’être soudoyés pour le faire.

L’idéal serait de pouvoir convoquer les autres témoins pour les confronter à ceux-là.


Ces cas nous amènent à soulever un point essentiel au bon fonctionnement de la juridiction toranique : c’est le fait que les témoins ne puissent pas porter témoignage devant le Bèt Dine si la partie concernée est absente, que leur témoignage soit à charge ou à décharge.

Certains auteurs sont d’avis qu’il s’agit là d’un principe d’essence divine qu’aucun raisonnement humain ne peut expliquer – Guézérate Hakatouv (Rachba, Netivote 28,6). D’autres pensent en revanche que cette règle peut s’expliquer logiquement : elle permet à la partie en cause de s’opposer aux témoins et de se défendre (Rachi), tandis que ceux-ci seront gênés de porter faux témoignage (Rama, Lévouch), ou de ne pas être complets ou précis dans leur déposition, face à la personne qu’ils mettent en cause.

Pourtant, la Halakha permet dans certains cas de recueillir des témoignages en l’absence des parties en litige.

C’est ce qu’autorisent certains avis lorsqu’il s’agit de témoins en faveur de la partie qui n’est pas présente (responsa du Raana’h 103, Méïri). On peut donc recueillir de tels témoignages si le plaignant est malade (mais pas l’accusé), ou que les témoins sont pressés, dans le cas où ils doivent prendre la route, ou qu’on a déjà convoqués les partis en vain.

Par ailleurs, si un accusé ne s’est pas présenté malgré plusieurs convocations, le tribunal pourra recevoir les dépositions des témoins même en son absence. Le Bèt Dine écrira dans son verdict que tout s’est déroulé sans la présence de cette partie. Si l’accusé refuse le verdict de ce fait, toute la procédure devra être reprise. S’il l’accepte, elle sera ainsi avalisée (Yérouchalmi, Na’hal Its’hak 3).

S’il se trouve que les parties ont accepté que les témoins soient reçus sans leur présence, certains pensent qu’il est possible de recueillir leurs dépositions ('Érèkh Chaï 28,15).

Dans de nombreux cas, les parties en présence envoient à leur place des avocats ou des To’ané Rabbanim, ou une quelconque tierce personne : cela sera considéré comme si les personnes concernées étaient présentes (Rachba), car ces représentants sont mandatés par elles.

Lorsque l’affaire concerne un interdit, les personnes au courant doivent évidemment venir porter témoignage, mais il n’est plus besoin que ce soit en présence des personnes concernées, puisque le témoignage porte sur un « objet », et non point sur une affaire opposant deux personnes. La propriété de la personne n’est pas en question, mais uniquement le statut de son objet (Kachèr ou non, pur ou impur, etc.).


Choix de l'instance rabbinique


Le Bèt Dine de Rabat
Que dit la Halakha lorsque deux parties en conflit sont aussi en désaccord sur le Bèt Dine susceptible de trancher leur différend ?

Lorsque les deux plaignants habitent dans la même ville, qui n’abrite qu’une seule instance rabbinique, ils n’auront d’autre choix que de se présenter devant cette cour. Un Bèt Dine local est une autorité établie (Bèt Dine Kavoua‘) à laquelle tous les résidents de la localité doivent se soumettre. Il est installé par les membres où les cadres de la communauté juive locale dans le but de desservir ses membres. Il n’est donc pas convenable que les habitants d’une ville ne présentent pas leurs litiges devant le Bèt Dine local. Un tel refus serait un manque de respect, voire une offense aux Rabbanim qui y siègent (‘Hazone Ich, Sanhédrine 15,7).

Dans le cas où la communauté n’a pas de Bèt Dine établi, elle peut avoir nommé un Sage érudit (« Gamir », mot araméen qui désigne une personne qui a une connaissance profonde des lois) devant lequel le public peut présenter ses désaccords.
Toutefois, dans la mesure où ce Sage siège en formation individuelle (et non tripartite comme un Bèt Dine classique), ses sentences n’auront pas la force de celle d’un Bèt Dine.
C’est pourquoi les parties en conflit ne sont pas tenues de s’en remettre à son autorité.
Si, en revanche, ce Sage est expert dans un domaine (« Moum’hé »), c’est devant lui qu’il faudra présenter le conflit, tout comme s’il s’agissait d’un Bèt Dine de trois personnes (‘Hazone Ich id., qui précise que de nos jours, on accorde le titre de « Moum’hé » à tout juge nommé par la communauté pour juger les fidèles).


Bien entendu, il faut que ces juges aient été nommés pour leurs connaissances et leur valeur morale. S’ils ont été soudoyés ou, au contraire, forcés à accepter cette fonction, une telle instance n’a plus les prérogatives d’un Bèt Dine établi (id.).

De nos jours, en général, dans les grandes villes d‘Érèts Israël et des Etats-Unis, on a le choix devant plusieurs instances rabbiniques. En conséquence, cette notion de Bèt Dine astreignant n’a pas cours. Mais si les deux plaignants font partie de la même communauté et lui versent une cotisation, et que celle-ci a érigé un Bèt Dine destiné à régler les différends entre ses membres, il est probable qu’ils sont alors astreints à se présenter devant cette cour rabbinique spécifique (Chévèt Halévi 5,212).

Dans le cas où l’on est obligé de se présenter devant une telle instance, si le litige est toutefois épineux et nécessite l’intervention de juges experts dans un domaine spécifique, il est admis de permettre aux plaignants d’organiser leur propre formation de jugement (Chévoute Ya’akov 2,143), selon le principe énoncé dans la Michna (Sanhédrin 23a) : « L’un choisit un juge, l’autre en fait de même, et les deux juges font venir une troisième personnalité » – ce qui donne « ZABLA » suivant l'abréviation de l'expression hébraïque, adoptée telle quelle dans le langage de tous les jours des spécialistes.

Toujours dans le cas où les plaignants habitent dans une ville où siègent plusieurs cours rabbiniques, la personne attaquée (« Nitva‘ ») a le droit de refuser de comparaître devant l’instance proposée par son opposant, et ce dernier se doit d’en proposer une autre. Si la personne attaquée refuse à nouveau, et que les deux parties n’arrivent pas à se mettre d’accord, on procède comme dit plus haut : chacun choisit une personnalité rabbinique qui lui semble valable, et les deux juges font appel à une troisième personne.



Cours de cassation de Paris

Un principe général énonce que c’est la volonté de la personne attaquée qui prévaut dans le choix du Bèt Dine qui jugera l’affaire (« Azlinane Batar Niteva‘ »).
Ce principe reste respecté même si elle donne sa préférence à une instance moins renommée que celle proposée par l’accusation.
On ne pourra toutefois pas imposer ce choix à la partie adverse de façon coercitive (menace d’excommunication utilisée lorsqu’une personne refuse de comparaître).
On tachera donc de la convaincre ou de choisir une formule de ZABLA (Choul’hane ‘Aroukh ‘Hochèn Michpate. 14,3).


Le choix du Bèt Dine par la personne attaquée prévaut dans la mesure où elle risque une condamnation ; elle a donc le droit de se défendre devant des juges en qui elle a plus confiance, et dont elle pense qu’ils seront attentifs à ses arguments ("Moznaïm Lamichpate").

Dans certains cas, toutefois, cette règle n’est pas suivie, et on ne privilégiera pas la personne attaquée :
- Si le différend oppose un fils à son père, le fils devra se rendre devant l’instance que son père exige.
- Si la personne mise en cause est un notable de la ville, que tout le monde respecte, l’accusation peut exiger que l’affaire soit portée devant le Bèt Dine d’une autre ville, où le risque de « bienveillance » envers le notable sera moins sensible (Nétivote 14,10).


Il en sera de même avec une personne riche, envers laquelle il y a lieu de craindre que les juges soient complaisants, il sera possible de forcer l’autre partie à se présenter dans une autre ville, où ce risque sera amoindri. Le Noda‘ Bihouda (Taniana 'Hochèn Michpate
2) ne conçoit cette possibilité de quitter la ville pour présenter l’affaire ailleurs que si, outre son « poids » financier, la personne se conduit de façon violente.

Dernier cas, si la personne a été attaquée en justice par l’ensemble des habitants de la ville, elle peut forcer ses accusateurs à se rendre dans une autre ville pour présenter leurs griefs, ou au moins exiger une formule de « Zabla » (conclusion du Pit’hé Téchouva 14,5, selon le Noda‘ Bihouda cité).



Tribunal- Belgique

Qu’appelle-t-on sortir de la ville pour trouver un Bèt Dine dans une ville neutre ?

Jusqu’à une distance de trois Parssaote (12 km), les communautés des alentours font encore partie de la ville.

On a l’habitude de considérer que tant que c’est le même cimetière qui est utilisé, les gens de la même région sont encore considérés comme faisant partie de la même ville (Sma‘ 14,10).



Passons au cas où les deux plaignants habitent dans deux villes différentes : devant quel tribunal devront-ils présenter leur différend ?

La réponse est que l’on suivra là aussi le Nitva‘, la personne attaquée, qui a le droit de choisir l’instance qu’elle préfère.
Le Knéssèt Haguédola (14,21) explique que si l’on privilégiait au contraire le plaignant, la personne attaquée risquerait de devoir engager de grandes dépenses pour se rendre dans une autre ville et y résider le temps du jugement afin de prouver son innocence.
Il pourrait aussi avoir lieu de craindre que des gens malhonnêtes assignent en justice des personnes riches, pour les faire chanter.
Ces dernières pourraient en effet préférer conclure un accord amiable, en monnaie sonnante et trébuchante, afin d’éviter de devoir se déplacer.


Si c’est la personne attaquée qui décide du tribunal qui traitera de l’affaire, il y a fort à parier qu’elle choisira le Bèt Dine le plus proche de son domicile. Ainsi ce sera au plaignant de régler les frais de déplacement et de séjour dans la ville de l’accusé : en conséquence, si l’affaire n’est pas sérieuse, il préfèrera abandonner la partie, plutôt que de risquer de perdre de l’argent. Cette règle est donc avantageuse dans tous les cas.


Quand les deux parties habitent dans deux villes différentes, mais que la personne attaquée a des biens dans la ville du plaignant, une fois que ce dernier a exposé ses arguments, si le Bèt Dine de sa ville décide de mettre les biens de son adversaire sous scellés, alors ce dernier devra se présenter devant le Bèt Dine de la ville du plaignant pour y être jugé (‘Aroukh Hachoul’hane 14,3). S’il avère que le plaignant a déjà saisi les biens de la partie adverse sans que le Bèt Dine ne le lui ait permis, la situation est différente, et l’affaire restera jugée dans la ville de la personne attaquée.




Tribunal Cantonal de Montebon en Suisse
Nous avons vu plus haut qu’en cas de litiges entre père et fils, l’enfant devra toujours se plier à voir juger l’affaire par le Bèt Dine de la ville où résident ses parents. Il en est de même dans le cas d’un litige entre un disciple et son maître (‘Aroukh Hachoul’hane – qui énonce cette loi uniquement dans le cas d’un Rav « Mouvhak », duquel ce disciple a reçu toute sa connaissance.


Si un litige oppose un résident permanent d’une quelconque ville à une personne de passage, l’affaire sera jugée a priori dans cette ville où se trouve du reste temporairement la personne de passage. En revanche, deux personnes de passage entre lesquelles un litige a éclaté pourront décider de remettre à plus tard leur affaire, et se tourner vers le Bèt Dine de leur ville d’origine.


Si la personne qui veut ester en justice vit dans une ville où siège une instance juridique rabbinique, ce qui ne serait pas le cas de la partie adverse, l’affaire sera portée devant le Bèt Dine de l’attaquant.

Au cas où la personne qui intente l’affaire aurait provoqué le départ de la ville de son adversaire, elle ne pourra en aucune manière obtenir que l’affaire soit présentée devant le Bèt Dine de sa ville, mais devra se rendre dans la ville où l’autre aura trouvé refuge (Tsits Éli'ézèr 16,53 ; ’Hokhmate Chélomo).

Lorsque le différent oppose un homme et son épouse, la règle générale énoncée précédemment s’applique également : l’affaire sera présentée devant le Bèt Dine la ville de la personne contre laquelle l’affaire est lancée (‘Aroukh Hachoul’hane 14,2).

Précisons enfin que dans tous ces cas de figure où le désaccord reste limité à la question de savoir quelle instance rabbinique aura la charge de juger un litige, tant que l’une des parties est prête à se rendre devant une instance juive, le Bèt Dine ne pourra pas permettre à l’autre partie de se rendre devant un tribunal civil (Ourim Vétoumim et Nétivote 26,13).


Se faire justice soi-même



Tribunal fédéral en Suisse
Nous l’avons vu dans nos rubriques précédentes, un conflit entre Juifs doit nécessairement être arbitré par un Bèt Dine.

On peut également envisager d’utiliser les bons soins d’une personne unique, qui pourra assurer l’arbitrage de certains différends.

Il peut toutefois arriver que l’une des parties concernées décide de prendre les choses en main sans passer par un quelconque arbitrage !
La Guémara (Baba Kama 27b) parle de cette possibilité de se faire justice tout seul.
Tentons de comprendre dans quels cas une telle solution est licite.


Restituer un emprunt

Dans quel cas un prêteur peut-il saisir directement un bien appartenant à l’emprunteur qui lui doit de l’argent ou un quelconque objet ? A priori, la Tora interdit au créancier de prendre un gage de la maison de son obligé, comme le dit le verset : « Ne te rends pas chez lui pour prendre un gage… » (Dévarim/Deutéronome 22,10).

Il existe cependant des exceptions :

Si le gage est donné au moment même du prêt.

Une fois l’échéance de remboursement arrivée, si l’emprunteur ne s’exécute pas, son créancier peut saisir l’un de ses objets, mais doit se rendre au Bèt Dine pour que ce dernier en estime la valeur et lui permette de l’utiliser pour être quitte de la dette (Rivach 396, Imré Bina Dayanim 10, Toumim 4,2).

Dans le cas où l’emprunteur avait remis de lui-même un objet en gage au prêteur. Puisque l’objet a été reçu de manière licite car il n’a pas été pris de force au domicile de l’emprunteur, le prêteur peut le garder (le Kétsote Ha’hochèn conclut toutefois dans ce cas de manière négative, mais le Pit’hé Téchouva 4,2 au nom du Birké Yossèf, Pit’hé ’Hochèn Halvaa chap. 6 admet que si l’objet a été reçu de manière permise et qu’il y a lieu de craindre que la dette ne soit pas honorée, le créancier pourra conserver l’objet par devers lui – cf. aussi le ‘Aroukh Hachoul’hane 'Hochèn Michpate 4,2 et Yéchou’ote Israël, Dayanim 4,2, qui permettent en cas de perte).

Si l’emprunteur est décédé, et que le remboursement dépend désormais des héritiers, il sera possible de saisir un bien à titre de gage, car l’interdit cité plus haut de prendre un gage de chez l’emprunteur ne concerne que sa propre maison, et non celle de ses héritiers (Imré Bina, Dayanim 10).

Si le contrat précise que le créancier peut saisir des biens de l’emprunteur et les vendre pour se faire rembourser le prêt, il sera alors possible d’agir ainsi, car ce n’est plus un gage – sauf dans le cas où l’habitude du pays est de ne pas permettre une saisie personnelle (Choul’hane ‘Aroukh 'Hochèn Michpate 103,7 et Kétsote Ha’hochèn 103,4).

Si le créancier envoie une tierce personne chez l’emprunteur pour demander d’envoyer un gage au créancier, ou que l’emprunteur lui donne de plein gré un gage (Ahavate ’Héssèd chap. 7), cette forme d’engagement de gage est permise (mais elle ne permet toutefois pas au créancier de se rendre dans la maison de l’emprunteur pour prendre ce gage).

Si le Bèt Dine refuse d’intervenir, et qu’aucun Dayane n’accepte d’arbitrer le différend, certains sont d’avis que le prêteur prenne de sa propre initiative de l’argent ou un bien appartenant à l’emprunteur jusqu’à concurrence de son prêt (Cha’ar Michpate 4,1).

S’il est clair qu’un emprunteur est en mesure de rembourser un prêt mais refuse de s’exécuter, certains pensent que le prêteur, s’il l’avait su a priori, aurait refusé de prêter l’argent, et le refus de rembourser sera considéré comme un vol. Il sera alors permis dans un tel cas d’effectuer une saisie, même dans la maison de l’emprunteur, et même à titre de gage (Imré Bina Guéviate ’Hov 2). Cette possibilité s’ouvre car l’emprunteur n’est plus considéré comme tel, mais comme un voleur.


Paiement de salaire



Dans quel cas un prêteur peut-il saisir directement un bien appartenant à l’emprunteur qui lui doit de l’argent ou un quelconque objet ?

A priori, la Tora interdit au créancier de prendre un gage de la maison de son obligé, comme le dit le verset :
« Ne te rends pas chez lui pour prendre un gage» (Dévarim/Deutéronome 22,10).




Le Garant

Il est permis de saisir un gage même au domicile d’une personne qui s’est portée garante pour le prêt d’autrui.
Mais si ce garant s’est engagé à prendre totalement la place de l’emprunteur (ce que la Halakha désigne comme étant « 'Arèv kablane »), il sera lui-même considéré comme étant emprunteur, et il sera alors interdit de saisir un gage (id.).


Récupérer un objet volé

Si l’objet du vol n’est plus chez le voleur, il sera permis de saisir un bien chez ce dernier, puisque le vol ne peut certainement pas être considéré comme un emprunt (Nétivote 97,18).


Tribunal U.S.A

Si l’objet volé se trouve encore chez le voleur et que l’on peut prouver que cet objet nous appartenait, à l’aide de témoins par exemple, il sera permis de récupérer soi-même l’objet volé. S’il y a lieu de craindre que le voleur ne cache l’objet ou ne le vende, il sera même permis d’utiliser la force pour le récupérer.

Si le voleur n’est pas particulièrement réputé violent, il sera possible de se rendre chez lui et de lui annoncer que l’on récupère son bien. Mais s’il est violent, ou si l’on craint qu’il ne dissimule l’objet, on se rendra chez lui discrètement pour récupérer son bien (Choul'hane 'Aroukh 'Hochèn Michpate 4,1, Nétivote 4,1).

En conséquence, si le voleur a pris possession d’un terrain ou d’une maison, auquel cas le voleur ne risque bien entendu pas de faire disparaître l’objet de son méfait, il ne sera possible de le récupérer qu’avec son accord, sans faire usage de force. Si cela ne sert à rien, il faudra aller au Bèt Dine, lequel pourra employer les grands moyens à l’encontre du voleur.

L’usage de la force n’est autorisé que pour permettre au spolié de reprendre son bien, mais non point pour lui permettre de se venger ou de punir le voleur de son forfait. Il sera également interdit de maudire le malfaiteur ou de lui faire une mauvaise renommée (Knéssèt Haguédola 4,2).

Si le voleur vient commettre son méfait ou toute personne susceptible de commettre des dégâts, il sera permis de les chasser en faisant usage de la force. S’il se trouve que les faire fuir risque d’avoir des conséquences sur les biens de celui qui vole ou qui commet des dégâts, cela reste permis (Choul'hane 'Aroukh 'Hochèn Michpate 383,2).

Nous évoquions plus haut le cas où une personne volée peut prouver grâce à des témoins que l'objet dérobé, qu'il va récupérer au domicile du voleur, lui appartenait effectivement.
Dans le cas par contre où il n'y a aucune preuve que l'objet lui appartenait, des auteurs récents ont conclu qu’il n’est permis d’effectuer une telle saisie que sans témoins
(c’est-à-dire dans la discrétion, sans que personne ne le sache), même si la personne use de violence.
En effet, si après cela, le voleur traîne la personne qui aura effectué une telle saisie devant le tribunal, cette dernière pourra avoir gain de cause en déclarant qu’il s’agissait de la saisie d'un objet volé, et sera crue parce qu’elle aurait pu arguer qu’elle n’a pas pris cet objet, démarche nommée dans la Guémara « Migo ».
Si, en revanche, des témoins étaient présents au moment de la saisie, la personne ne pourra évidemment pas dire cela, et perdra cette preuve interne de la véracité de ses dires (Nétivote 4,2 ; Chévoute Ya’akov 1,167).


Si la personne initialement victime d’un vol saisit chez le voleur un autre bien, et non l’objet volé car elle ne l’a pas trouvé, elle ne sera pas obligée de le rendre, même si le voleur se rend au Bèt Dine et exige que l’objet saisi lui soit rendu, lui-même
s’engageant à accepter la décision des juges et à rendre l’objet initialement volé ou à le rembourser (Chakh 4,2).


Il est interdit d’effectuer une saisie pour une tierce personne, car cette possibilité accordée par nos Sages de se faire justice soi-même ne joue que pour nos propres biens, et non en faveur d’autres personnes. Si toutefois une personne surprend un voleur qui s’est introduit dans le domaine d’autrui, il lui sera permis de l’en faire sortir par la force (Ora’h Michpate 4,7). De même, si on voit une personne qui frappe son ami, et que la seule solution pour entraver ce méfait soit de donner des coups, il sera permis de le faire (Choul'hane 'Aroukh 'Hochèn Michpate 421,13).


Les prérogatives du Bèt Dine




Chambre de commerce

Bien des lois de la Tora ont perdu de leur validité de nos jours, car elles dépendent d’une vie collective reposant sur le respect de la Halakha et de la présence du Temple. Ce n’est pas le cas de nos jours.
Toutefois, dans le domaine que nous traitons ces derniers temps dans le cadre de la présente rubrique, concernant la juridiction au sein de la communauté, des mesures ont été prises dès le début de l’exil par nos Sages afin d’assurer le bon ordre de la vie publique et le respect des biens des personnes.
De la sorte, tout groupe juif de par le monde pouvait se doter de juges, garantir un arbitrage entre les membres de la communauté selon la Halakha et assurer une vie sociale normale, sans devoir en arriver aux instances civiles.


En vérité, ces mesures prises par nos Sages ont permis d’assurer, tout au long de l’exil, une indépendance totale des communautés, sous la direction de leurs notables et de leurs juges, partout dans le monde. Dans certains cas exceptionnels, même la peine de mort pouvait être appliquée ! Une extraordinaire littérature a été consacrée à ces questions, réunie autour de la partie ’Hochèn Michpate du Choul’hane ‘Aroukh, où les grands auteurs ont laissé énormément de commentaires et de résolutions sur le plan de la Halakha.

Mais du fait de la perte de l’indépendance des communautés depuis quelques siècles, en particulier après la Révolution française, cette notion a été de plus en plus perdue, les communautés ont cessé d’avoir leurs propres instances et ces notions se sont perdues. Même en Érèts Israël, où la vie juive communautaire a retrouvé une grande vigueur, on ne peut trouver de telles structures, excepté peut-être certaines communautés locales, telles celle d'Ofakim ou de Tifra'h, dans le sud, ou, à l'étranger, celle de Gateshead.

De nos jours, davec l’extraordinaire retour aux sources que l’on connaît, la plupart des membres des communautés de l’exil savent se diriger vers le Bèt Dine pour régler leurs conflits internes, ainsi que la Halakha l’exige. Cette tendance s'inscrit à la suite du développement et du remarquable renforcement des instances juridiques rabbiniques d‘Érèts Israël, dont certaines forment des cours rabbiniques de référence, et dont les décisions peuvent servir de jurisprudence.

Mais voyons sur quelles bases de Halakha fonctionnent les cours actuelles.

La Tora donne l’ordre de nommer des juges et des exécutants de la loi dans chaque contrée où vit une communauté juive, comme le dit le verset (Dévarim/Deutéronome 16,18) : « Juges et gendarmes tu te donneras dans chacune de tes villes ».
Or les juges ne sont autorisés à siéger que s’ils ont reçu mandat d’une personne qui, elle-même, est investie d’un tel pouvoir en droite lignée depuis notre maître Moché, quand un maître transmet cette prérogative aux disciples de la génération suivante.
Moché a été la première personne investie d’une telle faculté, et l’a transmise à Yéhochoua'/Josué et aux soixante-dix anciens, puis ce mandat a été transmis de génération en génération.


Cette transmission, ou « Sémikha », ne consiste pas en un acte spécifique (poser la main sur la tête de la personne qui reçoit cette intronisation, bien que l’expression hébraïque semble l’indiquer), mais le fait d’appeler la personne qui reçoit ce droit « Rabbi », ou qu’on lui dise : « Tu es investi de ce droit » (Sanhédrine 5a).

Depuis la période de la Guémara, nous avons été dispersés de par le monde, et cette possibilité d’investiture a été de facto annulée.
Les juges ne sont considérés que comme des personnes privées, et nul ne peut plus rendre la justice comme la Tora l’avait imposé.
Toutefois, afin d’éviter l’anarchie dans le peuple juif et de permettre une vie sociale correcte, les Sages de la Guémara ont investi pour l’avenir les personnes préposées par le public à rendre justice, en leur donnant mandat pour ce faire.
C’est à ce titre que l’on peut nommer des juges de nos jours.


Ainsi que nous l’avons déjà vu à plusieurs reprises, cet état de fait implique que des Juifs n’aient pas le droit, selon la Halakha, de présenter leurs différends devant une instance civile – sauf cas d’exception, et permission expresse du Bèt Dine.
La base du pouvoir des juges actuels reposant donc sur une décision de nos Sages, leurs prérogatives répondent en conséquence à certains critères, et ne peuvent pas s’appliquer à tous les cas se présentant à eux (Baba Kama 84b).


Globalement, ils ne peuvent traiter que d’affaires se présentant de manière courante et impliquant des pertes d’argent.
En revanche, certains cas peut-être courants mais sans incidence financière, ou au contraire, d’autres affaires impliquent une perte d’argent, mais ne se présentent pas de manière fréquente, et ils ne seront donc pas instruits.


Voyons de plus près les divers cas pouvant se présenter de nos jours au Bèt Dine :

- Les aveux : il s’agit uniquement d’aveux qu’une personne peut faire lorsqu’elle doit de l’argent à autrui, devant un témoin ou plusieurs personnes.

- Les prêts : toute question en rapport avec des prêts financiers.

- Les accords matrimoniaux : la Kétouba, avec toutes les questions qui peuvent se poser en cas de divorce.

- Les problèmes d’héritage et de dons.

- Les cas de dégâts et de blessures, ou de vol.

- Toutes les questions concernant le commerce : validité de mandats, problèmes d’association, ventes et tromperies.

- Les locations et les salaires.

- L’accueil de convertis.



Lorsque le Bèt Dine constate que l’imposition d’une amende peut aider à conserver la paix dans la communauté, il a le droit d’en imposer.

Une personne blessant son prochain doit, selon la loi de la Tora, payer cinq sortes de dédommagements. Toutefois, de nos jours, on n’exigera que le remboursement de la perte provoquée par l’immobilisation de la personne blessée, et les frais médicaux ('Hochèn Michpate 1,1 et Sma' 1,3).


Ce qui est exclu



Bet Michpate - Jérusalem

Toute affaire qui n’entraîne pas une perte d’argent directe ne pourra être jugée de nos jours.
En effet, certaines peines financières ne reposent pas sur une perte impliquée à autrui, mais relèvent d’une amende que la Tora impose en particulier dans des cas de vols, en plus du remboursement du dégât lui-même.


D’autres cas de perte peuvent provenir d’un dommage réel, mais son occurrence peut être rare.
Dans ces deux genres de cas, nos Sages n’ont pas donné mandat aux juges oeuvrant de nos jours.


En conséquence, ne pourront être jugés les cas suivants :
- Les incidences d’un dommage sur la personne (la « valeur » de la personne ayant diminué du fait de l’accident ou du dommage infligé)
- La douleur (se calculant en fonction de la somme d’argent que l’on serait prêt à donner afin d’éviter de recevoir le coup infligé)
- La honte (le calcul de ce dommage dépendant de la place sociale de la personne causant le dommage et de celle qui en subit les conséquences)
- La compensation (dans le cas d’un homicide involontaire d'un esclave)
- Les cas de bêtes blessant des hommes (qui sont peu courants)
- Les amendes (représentant le double de la valeur de l’objet volé, voire quatre ou cinq fois sa valeur).


Certains dommages ne sont pas causés de manière directe (« Dina Dégarmi »), ou proviennent d’une parole mal placée qui a entraîné une perte à autrui ; quand ces conséquences sont évidentes et immédiates, le Bèt Dine devra imposer un remboursement de la perte entraînée.

Les délateurs, qui dénoncent leurs prochains aux autorités, ou qui entraînent des pertes financières en dévoilant les secrets des autres, pourront être jugés, afin d’assurer l’ordre public. Nos Sages parlent dans ces cas-là de « Tikoune Ha’olam » ('Hochèn Michpate 1,4).


L’obligation d’arriver à une entente


Juges - Israël
Nous avons vu que les prérogatives du Bèt Dine ne concernent pas tous les cas de conflits entre les personnes.
Toutefois, les Guéonim (qui ont vécu après la période de la Guémara) ont instauré que si une personne refuse de payer ce qu’elle doit à son prochain sous prétexte que le Bèt Dine n’a pas le droit de siéger de nos jours sur ces dommages, le Bèt Dine aura le droit de
l’excommunier (« Nidouï »).
Dans ce cas, le Bèt Dine forcera les partis en présence à arriver à un terrain d’entente sur une somme correspondant à ce que cette instance considérera comme revenant à la personne concernée.
Il faut toutefois que certaines conditions soient remplies : il faut que le plaignant soit sûr que le dommage a été causé par la personne qu’il accuse, qu’il ait des témoins à cet égard (lesquels peuvent toutefois être non recevables selon la loi pure, étant trop jeunes ou proches du plaignant), que le dommage ait été provoqué de manière volontaire et que l’accusé soit encore en vie.


Ceci est valable par exemple lorsqu’une personne a causé un dégât corporel à son prochain, qui, selon la Tora, implique cinq sortes de dédommagements, alors elle devra dédommager la personne lésée par une certaine somme, qui sera fonction du sentiment de la personne qui a subi ce préjudice, bien que, comme dit, le Bèt Dine n’a pas mandat pour statuer sur ces dommages de nos jours.

Il en sera de même quand une personne aura fait honte à l’autre : le Bèt Dine exigera qu’une certaine somme soit remise à la personne ayant subi ce préjudice moral, à la hauteur de la somme que cette instance rabbinique jugera bon d’imposer.
Si la personne touchée est un « Talmid ‘Hakham », la somme devra être plus importante, afin que la Tora ne soit pas avilie aux yeux du public, ce qui peut provoquer un relâchement de l’étude (Nétivote 1,17 et Toumim).


En conclusion, on le constate, la plupart des dossiers courants peuvent être instruits par les divers « Baté Dinim » qui existent.
Ainsi, il est possible, de nos jours, de ne présenter des différends que devant des tribunaux rabbiniques.
Dans le cas de communautés organisées et fortement structurées – ce qui est rare de nos jours –, la valeur de décisions des notables ou des élus, qui dirigent la communauté, peut être du niveau « Tora », car en vérité une direction de cet ordre est investie par la Tora du droit d’imposer à ses membres des décrets et des règles pour gérer la vie communautaire (voir détails dans le Rama, 'Hochèn Michpate 2,1 et 231,28).



Les prérogatives actuelles du Bèt Dine


Bèt Michpate - Israël
Le Bèt Dine a perdu nombre de ses prérogatives depuis l’annulation de la « Sémikha ». Toutefois, nous avons aussi cité les différents cas sur lesquels il peut toujours statuer de nos jours.
La Guémara accorde notamment au Bèt Dine local le pouvoir s’imposer certains décrets sur la communauté afin de renforcer l’application des lois de la Tora.


Il peut même punir alors que la loi stricte ne serait pas enfreinte de façon absolue.
La Guémara (Sanhédrine 46a) rapporte le cas d’une personne qui, du temps des Grecs, monta sur son cheval pendant Chabbate, et qui fut condamné à mort par le Bèt Dine, bien que chevaucher pendant Chabbate ne soit interdit que par nos Sages, et donc a priori non passible de mort.
La Guémara ajoute : «Non point que tel doit être le verdict, mais il s’est avéré qu’il fallait agir ainsi à ce moment».
Rachi explique que le public s’était laissé aller à de nombreuses fautes en raison des décrets des Grecs, et qu’il fallait donc renforcer les interdits.


Le Rambam (Sanhédrine 24,9) rapporte un verset de ‘Ezra (6,26), duquel ressort qu’un Bèt Dine peut prendre des mesures de coercition à l’encontre une personne qui ne suit pas le bon chemin, mesures qui peuvent aller jusqu’à l’emprisonnement – alors même que la prison n’existe pas en général dans la loi juive.
Cette peine est notamment encourue par un débiteur qui refuserait de rembourser son créancier : il pourra être incarcéré jusqu’à revenir à de meilleures dispositions (Rivach 484 et Rama 'Hochèn Michpate 97,15).


Le Bèt Dine peut également intervenir, quand le besoin s’en fait sentir, même au-delà de la loi stricte, pour punir une personne, en acceptant par exemple des témoins « non valables » (proches, trop jeunes).

Un Bèt Dine que le public aurait investi du pouvoir de gérer toutes les affaires publiques (Sma‘ 2,9) n’est pas la seule institution qui puisse ainsi imposer de tels décrets « supra légaux ».
D’autres peuvent aussi prendre des décisions astreignantes, comme par exemple une personnalité exceptionnelle dans sa génération (Gadol Hador), ou le comité directeur de la municipalité, sur lequel repose la responsabilité spirituelle et matérielle de la ville (7 Tové Ha’ir, les sept notables de la ville), ou encore les « Parnassim » (les présidents) qui ont été élus par la communauté.


Encore faut-il que ces notables soient animés du souci du bien de leur communauté.
Quand ce n’est pas le cas, chose qui arrive malheureusement, les résultats sont évidemment catastrophiques.
Les versets des prophètes sont déjà explicites à cet égard, et nombre de déclarations de nos Sages sont consacrées à ce genre de situations.
La Guémara (Roch Hachana 25b) précise : «Une personne qui est nommée à la tête d’une communauté est considérée comme le plus grand des personnages importants, Ifta’h en sa génération est considéré comme Chémouel dans la sienne, et tout ce qu’il prend comme décision est astreignant».
Rabbénou Guèrchone ajoute (Mordékhaï Baba Métsi'a 257) que c’est à ce titre que les décisions prises par les dirigeants de la communauté doivent être respectées.
En conséquence, toute autorité rabbinique qui est nommée à la tête du peuple peut prendre des décisions qui l’obligent dans son ensemble.
Le ‘Aroukh Hachoul’hane ('Hochèn Michpate 2,2) pose toutefois comme condition que le gouvernement accepte de tels arrêtés (pour les communautés de 'Houts Laarèts).


Quelles sont les conditions nécessaires pour que de tels décrets puissent être pris ? Cela peut être une réponse au relâchement de la communauté dans un domaine précis, mais cela peut aussi être une mesure prise contre un individu dont les fautes risquent de donner un mauvais exemple à l’ensemble de ses contemporains (Toumim 2,1).

Il en est de même en ce qui concerne les taxes ou les cotisations que la communauté veut instaurer (Maharik 14, Sma‘ 2,11), ou pour le maintien des traditions de la ville, dont le Bèt Dine peut ainsi forcer le respect (Rama 2,1).

La question s’est posée de savoir s’il y avait lieu de craindre que la personne ainsi incriminée par le Bèt Dine n’abandonne le judaïsme, auquel cas le remède pourrait être pire que le mal.
Le Rama (Yoré Dé’a 334,3) dit clairement que le Bèt Dine n’a pas à s’embarrasser de telles considérations.
Néanmoins, le ’Hatam Sofèr (Yoré Dé'a chap. 322) écrit que si, du fait de cette stigmatisation, le fauteur risque de convertir ses enfants, il y a lieu de ne pas le punir afin de sauver sa descendance.
Si l’apostasie ne concerne que la personne elle-même, le ’Hatam Sofèr indique que ce risque n’est pas absolument rédhibitoire – même si le Bèt Dine doit bien réfléchir à cette éventualité et à ne pas prendre de décisions précipitées.


Citons enfin les décrets qui peuvent être pris par les représentants d’une même corporation afin de protéger leur activité, mais à condition que tous les membres de cette corporation avalisent ces décisions ('Hochèn Michpate 231,28).

S’il y a un Sage dans la ville, toute décision de ce genre doit lui être soumise (id.).

Le ’Hatam Sofèr ('Hochèn Michpate 116) précise les conditions de désignation des représentants d’une ville ou d’une communauté : tous les habitants ou membres de la communauté doivent être convoqués aux élections.
Si tous ne sont pas venus voter, on se contentera du vote des personnes présentes, qui obligeront la communauté tout entière.
Le comité ainsi désigné pourra prendre toutes les décisions collectives et individuelles qui s’imposent, même s’il s’agit d’imposer les contribuables de façon différenciée, selon leur richesse.
En cas de discussion entre les membres élus, c’est la majorité qui sera suivie.
Une minorité d’élus qui aurait été absente au moment d’un vote devra tout de même se plier à la décision de la majorité (Béèr Hétèv 231,27).



Rav Michel Kottek