Respect et récompense

Des actes apparemment insignifiants sont souvent plus méritoires qu'il n y paraît à première vue. Les 'Hazal (Midrach Rabba Ruth 2:9) nous enseignent que parce qu'Eglon, le roi de Moav, s'est levé de son trône en signe de respect quand le chofet (juge) Ehoud lui a dit qu'il avait un message de Hachem pour lui (Choftim 3:20), Eglon a mérité la récompense de compter parmi ses descendants Ruth, l'arrière-grand-mère de David Hamelekh (cf Rachi, ibid).

De même, Nabuchodonosor, le roi criminel de Babylone, a obtenu la victoire lorsqu'il a tenté de détruire le premier Beit Hamikdach, car il avait fait trois pas en l'honneur de Hachem (cf Sanhédrin 96a). (L'une des raisons pour lesquelles nous reculons de trois pas à la fin du Chemoneh Essré, avant de prier pour la reconstruction du Beit Hamikdach, est d'ailleurs d'annuler l'effet des trois pas en avant de Nabuchodonosor en hommage à Hachem (cf Maharsha, Sanhédrin 96a et Michna Berourah Ora'h 'Haïm 123 note 2).)

Chaque acte est pesé et jugé au Tribunal Céleste selon la situation de celui qui l'a commis. Quelles sont ses origines? Aurait-il dû savoir qu'il ne devait pas se comporter de la sorte? S'agissait-il d'un acte routinier ou extraordinaire? Deux personnes ne sont jamais jugées de la même manière, et seul Hachem dans Son infinie sagesse peut être le juge final.

Nous pouvons mieux apprécier ainsi l'histoire suivante, racontée par Rabbi Chimon Goldstein, de Brooklyn, sur Rabbi Yits'hak Hutner (1904-1980), le Roch Yéchiva de la Yéchiva Rav 'Hai'm Berlin.

En mai 1973, Rabbi Hutner dut se rendre de Brooklyn au Bronx pour assister à la Brite du fils de l'un de ses Talmidim. Rabbi Chimon Goldstein, qui étudiait alors au Beit Hamidrach de la Yéchiva Rabbi 'Haïm Berlin, avait commandé un taxi pour le Roch Yéchiva, et ensemble ils partirent pour la brit.
Quand Rabbi Hutner et Rabbi Goldstein virent la plaque d'identité du chauffeur indiquant son nom, Sol Yanofsky (Le nom a été modifié.), en caractères gras, ils comprirent qu'il était juif. Pendant ce temps, à l'avant, le chauffeur avait compris que l'un de ses passagers était un rabbin éminent. Sans dire un mot, il tendit la main vers la droite, attrapa une calotte, et se couvrit la tête en signe de respect.

Rabbi Hutner se tourna vers Rabbi Chimon et lui dit en hébreu, afin que le chauffeur ne comprenne pas, "Mi yodéa' kama 'Olam Haba yech 'al ténou'ah zou : Qui sait combien de Olam Haba (mérite dans le Monde à Venir) il aura pour cet acte."

R' Chimon fut surpris du commentaire du Roch Yéchiva, car il ne pensait pas que le fait de mettre une calotte en présence du Roch Yéchiva eût une si grande signification.

"Est-ce que cela mérite le Olam Haba?" demanda R' Chimon.

"Laissez-moi vous raconter une histoire," répliqua le Roch Yéchiva. "Le 'Hidoushei Harim, Rabbi Yits'hak Mayer Alter (1789-1866), avait coutume de se rendre au Mikvé (bain rituel) tous les jours. Mais il n'empruntait jamais le chemin le plus court pour y aller. Il prenait au contraire chaque jour un chemin long et tortueux pour parvenir à destination. Au bout d'un certain temps, son chamach (assistant) devint si curieux qu'il demanda à son Rebbe pourquoi il semblait adopter à dessein le chemin le plus long pour aller au mikveh.
"Je vais t'expliquer", répondit le 'Hidoushei Harim.

"Quand nous prenons ce chemin, nous passons devant la gare où des porteurs juifs déchargent les lourds paquets des voyageurs. Ces porteurs sont des gens très simples et non religieux. Ils ne prient pas, et n'étudient pas la Torah. Mais quand ils me voient, ils s'arrêtent, se redressent et s'interpellent les uns les autres", Reb Itcha Myer arrive! Le Rebbe, Reb Itcha Myer arrive!"

Quand je passe devant eux, ils hochent respectueusement la tête et saluent ma présence. Pour cela (leur témoignage de kavod haTorah), ils recevront Olam Haba. Je sais qu'ils n'ont aucun autre moyen de le gagner, c'est pourquoi je passe par là chaque jour!"

Nous ne devons pas sous-estimer nos petites actions, ni celles des autres. A propos, l'ahavat Yisraël (amour du prochain juif) du 'Hidoushei Harim , qui donnait aux Juifs (même non pratiquants) l'occasion de gagner Olam Haba, n'est-elle pas remarquable?

Sur les traces du Maguid, Éditions Raphaël